Nick Drake un classique méconnu
Trois albums en trois ans, une poignée de concerts souvent écourtés après quelques chansons, une seule interview connue à ce jour et une carrière qui n’aura finalement existé qu’après la disparition de l’auteur en 1974 alors qu’il n’avait que vingt six ans. Pourtant, Nick Drake est aujourd’hui une référence dans son domaine au même titre que des artistes comme Léonard Cohen et est souvent cité comme une grande source d’inspiration tant pour ses textes que pour son jeu à la guitare, l’instrument auquel il aura dédié toute sa vie.

Nicholas Rodney Drake naît à Rangoun (Birmanie), le 19 Juin 1948. Il est le fils de Rodney et Molly Drake, tous les deux issus de la classe moyenne supérieure. Son père est ingénieur et sa mère a un goût prononcé pour la musique. Ses chansons seront d’ailleurs découvertes par le public au fur et à mesure que la réputation de Drake grandira.
C’est au cœur de la campagne anglaise que Nick Drake passera une enfance calme et paisible, loin de l’agitation londonienne et des fracas du monde. Après l’obtention de son baccalauréat (A levels) à Marlborough, il part pour Aix-en-Provence avec des amis afin de parfaire son français, puis il séjournera un temps au Maroc, avant de faire sa rentrée universitaire à Cambridge pour y étudier la Littérature anglaise. Les poèmes de William Blake sont, pour lui, une grande source d’inspiration mais c’est aussi à cette époque qu’il va commencer à délaisser les bancs de l’université pour se consacrer à la guitare avec beaucoup d’ardeur. Artiste lunaire et véritable magicien de la six cordes, c’est donc très tôt que Nick Drake se décide à marquer le paysage musical folk de son empreinte.

A vingt et un ans il sort son premier album, Five Leaves Left (1969), dont le titre sonnera comme une véritable prophétie puisque Nick Drake s’éteindra malheureusement cinq ans plus tard. Bien qu’accueilli timidement par le public, les critiques de la presse musicale sont plutôt bonnes. On y retrouve des hommages musicaux aux Beatles, notamment dans le morceau Day is done , dont les arrangements sont empruntés à Eleanor Rigby. Le titre le plus significatif de cette production reste sans conteste River man, l’une des compositions les plus emblématiques de Drake. Son identité sonore se définit avec ce titre, sa manière de jouer – avec des accordages parfois improbables – et sa voix mélancolique devenant ses marques de fabrique.
Musicalement parlant, Drake dispose d’un solide bagage technique. Son incroyable dextérité était certainement dû à des prédispositions naturelles, mais comme devait le souligner Robert Kirby (célèbre arrangeur musical qui travailla entre autre avec Nick Drake et Elton John): « Il y avait un énorme travail derrière, Nick jouait de la guitare entre six à huit heures par jour et ce tous les jours de la semaine ». Tous les observateurs indiquent également qu’une grande partie de l’originalité de son jeu relève de la qualité de sa main droite capable de véritables prodiges. Selon de nombreux musiciens, Nick Drake est à ce jour considéré comme l’un des plus grands guitaristes acoustique d’Angleterre.

En 1970 sort « Bryter layter », le second opus de Drake, et, encore une fois, le succès n’est pas au rendez-vous. L’album présente des sons plus originaux, les musiciens sont tous satisfaits du résultat, comme le bassiste Dave Pegg qui parlera de la semaine d’enregistrement en studio avec Drake comme « l’une des plus mémorables et agréables jamais passées dans sa vie d’artiste ». De très belles compositions portent ce nouvel album, comme One of these things first ou encore Northern Sky, qui sortent magnifiées par leur traitement orchestral. Mais la sortie n’est accompagnée d’aucune tournée et le disque ne se vend qu’à 3 500 exemplaires en Angleterre malgré des critiques encourageantes. C’est à cette époque que le chanteur commence à perdre pied, les ventes catastrophiques de son album et le manque de reconnaissance de son travail le font de plus en plus douter et l’installent dans une forme de dépression dont il ne sortira jamais.

Dès 1970, il se voit prescrire des antidépresseurs et commence à s’inquiéter de leur interaction possible avec sa consommation de cannabis dont il est coutumier, ce qui le rend de plus en plus morose et le fait se renfermer davantage sur lui-même. De fait, les concerts, déjà rares pour Drake à l’époque, se tariront purement et simplement, puisqu’il ne remontera jamais plus sur les planches. L’une des causes invoquées étant une peur quasi phobique de la scène.

L’on pourrait croire qu’après ces deux déconvenues Nick Drake jetterait l’éponge mais, malgré le mal-être dont il est victime, il signe avec Pink moon en 1972 l’album qui est considéré par beaucoup comme son plus bel opus. Un enregistrement court, de seulement 28 minutes : « Juste ce qu’il faut », selon le musicien. L’album est rapidement mixé, en deux nuits seulement. Il se veut expressément dépouillé, une guitare et la voix de Drake pour interpréter de remarquables morceaux comme Pink Moon ou Road. Et c’est justement cette extrême sobriété qui permet de prendre la mesure de l’excellence du jeu de Nick Drake, de sa vélocité et de sa subtilité. Avec une voix et une guitare, c’est sa manière de dire: « Me voilà tel que je suis ». Mais, une fois de plus, à l’époque, ni les critiques ni le public ne semblent être préparés à un telle singularité musicale. Nous sommes en 1972 et le ciel s’assombrit, dans deux ans il sera mort.
Après l’enregistrement de Pink Moon, qui est un nouvel échec commercial, Drake songe sérieusement à arrêter sa carrière de chanteur. En proie à une violente dépression il n’écrit plus et finit par retourner vivre chez ses parents à Far Leys. De plus en plus asocial, il s’éloigne de ses proches, sa maladie prenant le pas sur le reste de sa vie. Il est retrouvé mort dans son lit le 25 novembre 1974 d’une overdose d’antidépresseurs. Il semblerait pourtant qu’il ne s’agisse pas d’un suicide mais d’un accident. Il utilisait souvent ces comprimés pour trouver le sommeil. Malheureusement, ce soir-là, la dose fut trop élevée. Le monde perdit ce jour-là l’un des plus fantastiques musiciens que le XXème siècle ait porté.

Nick Drake est l’archétype de ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui « un poète maudit ». Peu reconnu de son vivant mais acclamé des années plus tard. Beaucoup en parlent comme d’une étoile filante passée à toute vitesse dans le ciel du paysage musical. C’est au milieu des années 1980 que la musique de Nick Drake commence à faire parler d’elle, car elle devient la source d’inspiration de groupes au succès international comme R.E.M., ou pour Robert Smith (The Cure), qui l’évoquent régulièrement. Les années 1990 sont extrêmement favorables à la renommée du chanteur. Ses compositions apparaissent désormais dans des bandes originales de films, tandis que son jeu de guitare est étudié et cité par les plus grands. En 2004, trente ans après sa mort, Drake entre pour la première fois au hit-parade avec deux singles (Magic et River Man), sortis pour promouvoir un album compilation de ses chansons. Il aura fallu près de trente ans après sa disparition pour qu’enfin, il obtienne la célébrité et la reconnaissance qu’il mérite. Aujourd’hui, nul ne le conteste, Nick Drake est une véritable référence dans l’univers de la musique folk.
Road, extrait de l’album Pink Moon,de Nick Drake (reprise par votre serviteur)
Nicolas R.