
Philippe Delerm nous emmène dans son dernier recueil de 47 nouvelles très contemporaines, paru en septembre 2019, dans des univers où gestes et attitudes parlent de nous-mêmes , de nos grandeurs, de nos faiblesses et de notre narcissisme ( d’où le titre) avec toujours humour et finesse.
Soyons le complice de Philippe Delerm dans ses escapades espiègles à observer les gens dans leur quotidien, dans des univers si différents, toujours étonnants et si justes, lorsqu’ils vapotent, acquiescent sans bien savoir à quoi, conduisent un caddie, pêchent à la ligne ou occupent votre place dans le train :
p. 92 « Visiblement, la personne couchée sur les deux sièges, le dos tourné au couloir, n’a pas cru bon de s’inquiéter de l’arrêt du train. Les écouteurs sur les oreilles, une tablette à la main, elle est plongée dans la consommation d’un film auquel il paraît impensable de la soustraire… Elle lève le menton, et bientôt son regard balaie l’ensemble du wagon pour y trouver la confirmation de ce qu’elle espérait : il y a d’autres places libres, vous êtes un mauvais coucheur de lui dénier le droit d’être couchée ».
C’est aussi leur façon d’ovationner au théâtre, de marcher les mains croisées, d’enfiler son duffle-coat, de plier ses draps ou bien encore de faire ses carreaux…, un petit bijou qu’on appréciera en ces jours-ci :
p. 53 « on s’y décide parce qu’il fait beau. On s’étonne de cette qualité de la lumière dès l’aurore, mais il faut s’y résigner : elle révèle impitoyablement les longues dégoulinures poussiéreuses sur les vitres. Vivait-on à ce point dans une prison opaque ?… Mais faire les carreaux, c’est célébrer les noces du dehors et du dedans, maîtriser un peu de mat dans le jour ébloui. »
Cette nouvelle est un clin d’oeil : plus jamais on ne fera ses carreaux sans penser à Philippe Delerm !
Ce dernier recueil nous donne juste le goût de retourner feuilleter les précédents recueils et de rentrer dans des univers de senteurs, de parfums, de petits moments attendrissants ou émouvants partagés avec amis, famille, grands-parents, des moments souvent ancrés dans nos mémoires comme des tableaux inoubliables, une farandole de souvenirs.

Alors pourquoi pas le recueil qui nous a fait découvrir Philippe Delerm avec La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules paru en 1997 et qui reçut le prix Grandgousier la même année ? Aider à écosser des petits pois, aller aux mûres, prendre un porto, ou regarder le Tour de France.
Catherine M.
L’extase du selfie : et autres gestes qui nous disent, Philippe Delerm, Seuil, 2019. 107 p.
La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, Philippe Delerm, Gallimard (L’arpenteur), 1997. 93 p.
Crédit photo : Electre.