Patricia partage une nouvelle qu’elle a écrite pendant le confinement.
L’île bleue

Depuis mon plus jeune âge j’aime les îles.
J’ai fait ma première découverte de l’insularité à 3 ans, après un long, très long voyage en 4 chevaux, puis le bac sur lequel, légende familiale, face à l’océan,
je hurlais « Ohhhhh, la GRRRRRRANDE Seine ».
Je croyais que quand la mer était haute d’un côté de l’île, elle était basse de l’autre et inversement ; et encore, délicieuse terreur, que les jambes de mon grand-père allaient fondre dans la mer comme le sucre dans le café ; bien évidemment je refusai, en hurlant de toute la force de mes petits poumons, tout bain…
La logeuse s’appelait Madame Assémeau, et je la surnommai aussitôt Madame « Assémeau Le corbeau ne se sent plus de joie », ce qui me faisait rire sans fin et me consolait un peu des dangers maritimes.
Le phare des baleines hantait mes rêves… J’espérais obstinément et chaque jour, voir des baleines… Ou bien, était-ce sa forme phallique ?
Cette île fut suivie, bien plus tard, de beaucoup d’autres : dans La Manche, l’Atlantique, la Méditerranée, le Pacifique… des archipels, des îles isolées, des îlots. J’aime les îles petites où l’on embrasse l’insularité facilement ; où je sens en tout lieu et à tout moment que je suis sur une île. L’île de Vancouver, par contre exemple, n’en est pas vraiment une pour moi.
Certes, la mer n’est jamais très loin, comme en Bretagne… mais les Monts d’Arrée évoquent-ils la mer ? Les grandes îles sont plutôt des mini continents. Par contre, Inisheer ou La Gomera ou Houëdic… On sait à chaque instant que l’on est sur une île !
Et les insulaires, quelle que soit leur mer, partagent quelque chose de singulier, ils sont à la fois curieux des visiteurs voire avides de rencontres et très sur leur quant à soi, très réservés dans leur pré carré… A Inisheer par exemple, dans l’unique pub ouvert en ce temps-là, lors d’une soirée mémorable, arrosée et musicale, je n’ai jamais pu payer une seule bière, j’ai dû m’acquitter d’une chanson en français bien sûr, et à la sortie pfuitttt, en quelques secondes, plus personne… J’étais seule, la nuit, sous la pluie, sur une île minuscule battue par le vent, perdue dans une mer glaciale.
J’aimais tellement les îles que je donnais ce petit mot doux à mes amants : « mon île ». Et comme les îles, j’aimais les découvrir, jour ou nuit, les parcourir, dénicher des endroits secrets, me lover dans un repli pour écouter le souffle, rêver. J’aimais me perdre avec eux, et j’aimais qu’ils ne soient qu’à moi, comme l’île déserte de mes fantasmes robinsonniens.
Et comme les îles, ils se succédaient sans qu’à aucun moment un port ne m’attache vraiment. D’ailleurs sans calcul de ma part, le nombre de mes amants doit être à peu près le même que celui des îles que j’ai visitées.
Cependant, le temps passant, mon amour des petites îles me posa un problème : j’en avais vite fait le tour. Il me fallait encore et encore en trouver une autre et une autre et une autre, pour renouveler l’expérience.
Avec les hommes, ce n’était pas vraiment différent. J’en faisais, hélas vite le tour, et me lassais suffisamment rapidement pour qu’aucun projet, ne serait-ce que passer ensemble quelques jours sur une île, ne puisse même être conçu.
Jusqu’à ce que je découvre Faial, la bleue. Azul… J’ai toujours un penchant pour les volcaniques. Mais là, je suis tombée éperdument amoureuse.
J’étais littéralement possédée, à vouloir même vivre là-bas, et cultiver l’herbe de Saint Philippe, le pastel des teinturiers.
Je m’installais. Je montais mon projet de culture. J’apprenais le portugais. Je ne me lassais pas. De fil en teinture végétale et en aiguille, je tombais tout aussi éperdument amoureuse de la peinture d’Indy artiste qui expérimentait les teintures végétales dans des aquarelles étonnamment percutantes.
Mes deux îles, mes idylles.
Et pour imiter un des Marx que j’admire, je pense parfois que, non, les femmes ne sont pas des îles comme les autres…..
Patricia BARTHELEMY.