« Eugenia » de Lionel Duroy

Roumanie 1935. Les parents d’ Eugenia possèdent un commerce de vin dans la rue la plus élégante de Jassy, deuxième ville du pays au nord est de Bucarest.

Depuis 1919, les juifs venus de Galicie, de Russie, de Hongrie, de Pologne sont officiellement roumains mais pour les habitants de Jassy ils ont « envahi la ville, dressé leurs synagogues, mis la main sur les commerces ». Soit très riches, soit pauvres ils vivent entre eux, s’habillent bizarrement et restent des étrangers.

La montée de l’antisémitisme se précipite au moment où la Roumanie fait le choix politique de se rapprocher de l’Allemagne d’ Hitler.

Eugenia, jeune étudiante à l’université en section littéraire, tombe amoureuse de Mihail Sebastian à l’occasion d’une conférence que celui-ci donne à la demande d’ Irena, son professeur de littérature pour laquelle Eugenia voue une grande admiration ; une femme ouverte, progressiste, indépendante.

Mihail, de son vrai nom Iosif Hechter, est écrivain, auteur de théâtre, juif. A la sortie, il se fait violemment agresser par une bande d’élèves au nom de sa judéité. Eugenia prend sa défense seule contre tous.

Son frère Stefan, en médecine, adhère au parti nationaliste anti-juif « La garde de fer » se revendiquant du fascisme. C’est dans ce climat familial et national complexe qu’ Eugenia deviendra journaliste, restera fidèle à ses idées, à son amour et n’aura de cesse de protéger et sauver Mihail réfugié dans l’écriture, caché dans une petite chambre à Bucarest, refusant de s’exiler malgré ses exhortations à se défendre « arrêtez d’attendre la mort sans rien faire, sortez de votre apathie » lui dit elle. Alors même qu’elle s’engagera dans la Résistance.

Eugenia sera le témoin impuissant du pogrom de Jassy du 28 et 29 juin 1941 faisant plus de 13.000 victimes sur 34.000 juifs recensés auxquelles s’ajouteront les 5.000 condamnés dans les trains de la mort.

Sur fond d’un épisode peu connu de l’Histoire, le pogrom de Jassy en Roumanie, se déroulant sur une période de dix ans, Lionel Duroy interroge les motivations, engagements, peurs, lâchetés des uns et des autres.

Il convoque Mircea Elliade, Cioran, Ionesco choisissant l’exil, met en lumière le double jeu de Malaparte.

Eugenia demande une lecture attentive par les allers-retours chronologiques, le contexte historique de la Roumanie, ses alliances et les dirigeants de cette époque.

L’auteur dresse le portrait d’une jeune femme courageuse, attachante, aux valeurs humaines constantes et sans faille, aux convictions solides, qui illumine le roman.

Au final, par l’intermédiaire d’Eugenia, Lionel Duroy interroge le rôle des bourreaux et des victimes les mettant sur le même plan et en cela le roman revêt une dimension intemporelle universelle.

Alix.

Eugenia, Lionel Duroy, Julliard, 2018. 487 p. (Prix Anaïs Nin 2019)

Crédit photo Electre.

Les commentaires sont fermés.

Fièrement propulsé par WordPress | Thème : Baskerville 2 par Anders Noren.

Retour en haut ↑