Suite de l’intrigue de Jean-Yves Ruaux, menée avec le concours des participant.es à l’atelier d’écriture de la bibliothèque …
Ce frère qui est ton fils
est l’amant de sa sœur
A 23 h, la police arrive. La dinde refroidit, cernée de pruneaux et d’indigestes marrons. La farce, qui n’a rien de drôle, s’étale en monticules grisâtres sur le bord des assiettes où la sauce marron s’est figée.
Le lieutenant Leïla Le Floch était estomaquée. Il y avait deux cadavres dans la maison et ces gens avaient dîné. Bouteilles et verres formaient un régiment d’arsouilles rouges et ballonnés au milieu de la nappe tâchée.
Le commissaire Rieux aurait pu décréter la garde à vue de toute la maisonnée. Mais qui aurait fini les restes ? Qui aurait gardé les marmots ? Leïla et Rieux se limitèrent donc à sécuriser la chambre d’Anne-Marie, celle de François : les « scènes de crimes » selon Amandine qui répétait l’expression avec gourmandise. Elle avait même obtenu du ruban adhésif spécial de la police scientifique. Le légiste avait fait emballer les morts dans des housses brillantes, avec la literie et les objets personnels.
La radio continuait sa litanie des chansons choisies par un veilleur de nuit à qui les journalistes auraient laissé la clé.
Maintenant le sol est blanc
au fond du traineau. Profitez-en.
Contez fleurette, prenez les filles
Et chantez sans partir en vrille…
Un truc de trappeurs ! très loin de ce que la chorale de Saint-Sauveur devait
entonner à minuit pour accueillir l’enfant-roi avec l’archiprêtre en chape
brodée à fils d’or.

– C’est bien à 22 h que vous avez sonné la bonne ?
– La cuisinière de ma mère.
– … Peu importe, pour servir ! Où étiez-vous tous à ce moment ?
– C’est un peu difficile…
– Tante Chantal, montre au détective…
– Commissaire, commissaire Rieux
– … le joli Cluedo que tu as dessiné.
– C’est que, Amandine…
– Mais non, « tante Chantal », vous dessinez très bien et nous au commissariat on adore le Cluedo.
– Pour de vrai ?
– Pour de vrai. Tu as raison Amandine. Tata Chantal a très bien travaillé et
ses plans indiquent la position de chacun. Vous allez manger la glace,
finir le champagne avant qu’il ne soit tiède et nous reprendrons l’enquête
demain matin
« Je me suis amusé, et j’ai beaucoup abusé. »
Alexandre et Philippe font la tête à vomir de types qui ont le mal de mer.
– Est-ce qu’on a le droit d’ouvrir nos cadeaux ?
– Demain matin seulement lorsque je rapporterai du commissariat ceux qui
ne sont pas dangereux.
– Parce que certains peuvent l’être ?
– Je dois vérifier avant de les rapporter
– Tu es le Père Noël ?
– Tu crois ?
La Radio nationale a dû virer son DJ en cours de soirée. Car à 23h45, le poste a pris le chemin de la crèche.
Les anges dans nos campagnes
Ont entonné l’hymne des cieux…
A minuit, le sapin du commissariat clignote, la radio du poste aussi.
Un lot de viande saoule en provenance de Corseul va être acheminé à l’hôpital de Dinan via la permanence et le ballon. Leïla a regagné son bureau qu’une cloison de verre sépare de celui du patron qui empeste le tabac.
A 4 h du matin, il schlingue toujours. Dehors, on entend les « cantiques » des fidèles assoiffés qui ont fait leurs dévotions dans les chapelles de la rue de la Cordonnerie. Au commissariat, on prie car les cellules de dégrisement,
surpeuplées, puent déjà le dégueulis.
Horreur. Mais, c’est pas pire que ce que le labo apprend à Leïla. Ah, ils peuvent regarder tout le monde de haut, les bourges ! La policière avait sous les yeux la copie d’écran que lui avait envoyée Antoine, l’informaticien. Il a restauré le message effacé juste avant la mise en veille de l’ordinateur. Très intéressant !
« Ne m’en veux pas, maman. Je préfère en finir avec une vie décevante plus
encore que je ne le suis pour toi et pour Chantal, qui êtes mes deux mères. Je regrette. Je me suis amusé, et j’ai beaucoup abusé. De tout, de la situation, des facilités que tu mettais à ma disposition, des voitures, des appartements, de mes amies, de mes cousines à qui je demande pardon. Quand je dis que j’ai abusé… Je n’ai jamais forcé quiconque pour en obtenir des relations. Mais j’ai toujours profité des situations que je créais, des faiblesses que je rencontrais. L’argent, la tchatche, l’alcool ont aisément raison d’une jeune fille de quinze ans. Pardon Manon, pardon Carole… »
Un lot de photos de paparazzis
François avait du style, assurait le légiste qui était un artiste dans la découpe et un fin lettré. A 5h, Leïla reçut un autre message, toujours d’Antoine. Il avait examiné l’ordinateur de François. Révélation : le message avait été envoyé d’un autre PC. Compensation pour l’œil averti, l’ordi offrait son lot de photos intimes. Ni anniversaires, ni mariages. Il s’agissait bien de photos de la famille, mais des photos volées de Manon, de Carole, de Sophie. des photos de flic en planque ou de paparazzi. Leïla était songeuse. Rieux l’interrompit :
– Tu racontes ?
-François fait des photos de sa nièce Manon et de sa belle-sœur Sophie à leur insu.
– A leur insu ?
– Oui, et il les classe par année, par lieu.
– Un obsédé.
– Il y a mieux, François a envoyé un drôle de message d’un PC qui
n’est pas le sien. Il parle de ses deux mères. Tu saisis ?
– J’ai lu le journal d’Anne-Marie. Les techniciens l’ont trouvé au fond
de son lit. Là où personne n’aurait cherché tant ça cocottait. Je viens de le
comprendre. Sa mère biologique, c’est Chantal, sa grande sœur !
« D’autres cadavres sous ce tapis ? »
– C’est ce qu’écrit sa mère ?
– Pas sa mère, sa grand-mère. Parce que sa mère, c’est sa sœur. François est le petit-fils d’ Anne-Marie, et donc le frère de la fille de Chantal.
– Attends…
Rieux ralluma sa pipe qui sentait le syndicaliste des années de Gaulle.
– C’est simple. Chantal, la fille aînée d’ Anne-Marie, est la mère du petit
François. Enceinte à 17 ans. Un gitan de passage !
– C’est toujours de passage un gitan !
– Un gitan donc. Miracle. François est devenu le petit dernier d’Anne-
Marie. Chantal est sa grande sœur. Ni vu, ni connu !
– Pas étonnant qu’il ait été instable. Au fait, François, il a couché avec Manon. Sa mère l’a su ?
– Sa mère officielle, Anne-Marie, oui. Chantal, non ! Les apparences,
ma chère. Dans ce monde là, on cache la poussière sous le tapis.
– Et il y a d’autres cadavres sous ce tapis ?
Une intrigue de Jean-Yves Ruaux menée avec le concours des participants à l’atelier d’écriture de la bibliothèque qui l’ont dialoguée, dramatisée, costumée, interprétée et mise en scène, à la Bibliothèque municipale de Dinan lors de la Nuit de la Lecture du 18 janvier 2020. (Patricia Barthélémy, Natacha Besrets, Michèle Bodénès, Valérie Boulanger, Bénédicte Caquelard, Arnaud Chemin, Alyce David, Bénédicte Desanlis, Nathalie Odot, Alexia Philippe, Geneviève Pignon, Valérie Pivetta, Manon Riquier, Soazic Rollando, Thomas Schmutz, Marie Segard)