« Le premier homme » de Jacques Ferrandez, d’après l’oeuvre d’Albert Camus

Alors que l’épidémie et le confinement nous ont brutalement pris de court, nous sommes allés fouiner dans nos étagères pour lire ou re-lire quelques ouvrages. Et puis, nous avons cherché dans l’Histoire et la Littérature des idées pour nous aider à comprendre, passer le cap et nous divertir.

            Parmi toutes ces références historiques et littéraires, Albert Camus et son roman La Peste (publié en 1947) est revenu en boucle dans les médias. Ce roman, qui raconte une épidémie de peste à Oran dans les années 40, nous parle de la condition humaine, sujet de prédilection de l’auteur.

Camus mourra tragiquement dans un accident de voiture le 4 janvier 1960. Dans la voiture on trouvera le manuscrit inachevé du roman, Le premier homme. Sa femme, Francine Camus, s’emploiera à faire vivre le manuscrit qu’il envisageait de publier le moment choisi, comme un « Guerre et Paix » sur les Français d’Algérie, ce pays où il a grandi et qu’il a aimé. En 1994, le roman sera publié, 30 ans après sa mort. Un succès !

            Continuons à entrer dans la pensée et l’univers de Camus avec Le premier homme

C’est ce roman que Jacques Ferrandez a magnifiquement illustré dans un ouvrage publié en 2017 et que je souhaite partager avec vous. 13 chapitres comme autant de moments forts qui nous font découvrir toutes les étapes de la vie de Jacques Cormery, hommes de lettres, pied-noir, double d’Albert Camus.

La BD de Ferrandez : autobiographie et fiction mais fidélité à l’esprit de Camus

            Jacques Cormery naît dans une ferme dans l’Est algérien, juste avant le départ de son père pour la guerre où il mourra. Le soldat sera enterré dans le cimetière de Saint-Brieuc (cf photos ci-dessous p. 20).

            Après la mort du père, la famille s’installe à Alger, à Belcourt, non loin de la mer. Jacques est élevé par une mère très aimante et douce, et une grand-mère autoritaire qui corrige souvent son petit-fils à la cravache.

Nous partagerons les bains de mer, les parties de foot, les jeux et les escapades d’enfants dans les rues d’Alger de l’époque.

            Le caractère de cet enfant hors du commun se forgera par la guerre dans une famille sans le sou avec une mère ignorante qui ne sait pas écrire, par l’école et une rencontre déterminante avec un instituteur, puis par l’entrée au lycée grâce à une bourse attribuée à cet enfant, pupille de la nation.

La vie pendant la colonisation, puis l’indépendance et cet attachement à ces deux pays détermineront les positions politiques et philosophiques de Cormery-Camus.

            Il dit » Oui, il avait vécu ainsi dans les yeux de la mer, du vent, de la rue, sous le poids de l’été et les lourdes pluies d’hiver, sans père, sans tradition transmise, mais trouvant un père juste au moment où il le fallait et avançant à travers les êtres et les choses… grâce à la connaissance, il s’était fabriqué quelque chose qui ressemblait à une conduite pour se créer sa propre tradition… » p. 178.

Jacques Cormery, mal à l’aise dans le milieu intellectuel parisien, revient en Algérie à la recherche de son identité, sur les traces de son père, qu’il a peu connu : « Je me protège comme je peux du milieu parisien dans lequel je me sens toujours un étranger,… et on me fait comprendre que je suis rentré par effraction,… ce qu’ils n’aiment pas en moi, c’est l’Algérien« . P. 27

            A Alger, les retrouvailles avec sa mère sont émouvantes mais sa mère âgée ne peut plus lui raconter car les souvenirs se sont estompés. « Je ne sais pas … » répond-elle à ce fils qui la presse de questions.

Il pourra lui dire que la tombe de son mari est belle et fleurie. Elle ne veut pas aller en France « Oh! non, il fait froid là-bas… maintenant, je suis trop vieille… Je veux rester chez nous ». p.171.

Derrière Cormery, Camus

            Quand Ferrandez perdra son père, peu de temps avant la parution du roman en 1994, les mots du roman de Camus résonneront fort chez lui. Il s’empare du texte et donne vie à ce roman dans cette BD. 

Il est bien évident que derrière Jacques Cormery se cache Albert Camus.

            En effet, c’est un roman largement autobiographique puisque Cormery comme Camus sont nés en Algérie, issus d’un milieu pauvre. Ils ont une reconnaissance pour leur instituteur (M. Bernard pour Cormery, M. Germain pour Camus) et l’école qui a cru en eux. Ils ont connu le succès en littérature.

            Ils sont profondément attachés à leur pays d’origine et ont la conviction de la nécessité d’une égalité entre tous les habitants de ce pays quelles que soient leur origine, leur nationalité et leur religion.

A travers la vie de Jacques Cormery, nous apprécierons les dessins, les aquarelles aux couleurs et à la lumière si bien rendues par Jacques Ferrandez, les dialogues aux sonorités méditerranéennes, espagnoles, pieds-noirs, une plongée réaliste dans l’univers de Camus qui nous permettra de mieux appréhender sa pensée.

Bon voyage avec Ferrandez au pays de Camus, ce pays si cher au coeur des deux hommes.

Chapitre 2
Saint-Brieuc


p.20
Jacques Cormery ira s’incliner sur la tombe de son père au cimetière de Saint-Brieuc.


Chapitre 4
Les jeux de l’enfant


p.31
Jacques regarde la rue au travers des jalousies. Il a envie d’aller jouer mais la grand-mère apparaît et ordonne d’aller à la sieste.
On aperçoit le magasin de chaussures de la famille Fernandez.


     Jacques Ferrandez est né à Alger mais sa famille quitte l’Algérie pour Nice, à cause des évènements de la guerre d’indépendance. ll reviendra souvent dans son pays de naissance qu’il aime et connaît bien. Ses grands-parents paternels d’origine espagnole habitaient Belcourt, le quartier d’enfance de Camus, ils tenaient un magasin de chaussures en face de l’immeuble de la famille Camus (cf photo).

J. Ferrandez a adapté en BD deux romans de Camus, L’étranger et L’Hôte et publié Les Carnets d’Orient qui retrace l’histoire de l’Algérie de 1836 à 1950. Son oeuvre est importante : albums de BD, romans illustrés, recueils d’illustrations pour lesquels de nombreux prix lui ont été décernés.

Il a participé à plusieurs reprises au festival des Etonnants voyageurs notamment, en 2018, pour y présenter Le premier homme.

*Alice Kaplan : Américaine, Docteur en littérature française, Enseignante à l’Université Yale, Auteur de l’essai historique En quête de L’Etranger (Gallimard, 2016).

Catherine M.- mai 2020.

Le premier homme, Jacques Ferrandez, d’après l’oeuvre d’Albert Camus, préfacé par Alice Kaplan, Gallimard, 2017. 184 p. (Prix Historia de la bande dessinée historique 2018).

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