Partage d’un spectateur passionné #3 : Jean-Jacques Goldman

Jean Vattement, lecteur fidèle de la bibliothèque, propose pour l’été un passage d’émotions autour de trois artistes : troisième article avec Jean-Jacques Goldman, chanteur-auteur-compositeur absent des bacs de disques et des scènes depuis plus de vingt ans et pourtant toujours personnalité préférée des Françaises et des Français.

Lundi 19 décembre 1988 Salle Omnisports de Rennes

« Le moment venu /Les lumières s’éteindront / Et la musique commencera… / Puis nous nous apercevrons,

Peut-être nous sourirons-nous… / Et peut-être vous dirai-je : … ça a été si long… »

            20h30 tapantes, dehors il fait froid en ce soir de décembre, dedans il fait (déjà) très chaud. Les hurlements se sont faits plus stridents. Cette fois, la marmite fume de partout. Plus haut, encore plus haut. Jean-Jacques Goldman est là dans un faisceau lumineux. Je suis dans ce public qui est venu voir le Roi, le Dieu Goldman. C’est la première fois que je vais vivre de l’intérieur, en direct, le spectacle d’un chanteur face à une génération entière qui l’adule, le vénère. Véritable pyromane du music-hall, il allume en effet  toutes les salles de France.Et pourtant quelle sobriété, quelle simplicité chez ce chanteur de 37 ans, portant tee-shirt, jean et baskets, véritable  idole des jeunes des années 80,  mais aussi anti-star, refusant (et c’est tout à son honneur)  de se plier à la loi du show-business.

« Ce sont les spectateurs qui m’ont appris la scène, qui me l’ont fait aimer. A priori, je suis le contraire d’un homme de scène. Gauche, lent à la répartie, introverti. Mon énergie, c’est celle qu’ils me communiquent. Mon plaisir, c’est le nôtre, celui de passer une soirée ensemble autour de choses qui nous ont touchés. »

            Bon cœur, belle âme ( il ne fume pas, ne boit pas et milite pour SOS Racisme, les Restaus du cœur  et l’Éthiopie), sous son règne, ça ne casse pas, ça passe. Sans jamais avoir recours à des artifices démodés, il emmène, en  évitant l’à peu près, son monde à lui dans un sillon de rêve, de joie et parfois d’émotion. Il  ne danse pas, bouge peu,  parle peu. Ce soir, il tentera une plaisanterie (la même chaque jour ?) qui vole un peu trop haut pour son public. Il  interrompt brutalement une sorte de blues qui raconte comment une fille le drague dans le métro, en disant : « On a été boire un coup, le reste, ça ne se dit pas…  – Dis-nous, dis-nous », scande la foule émoustillée. –  Non ! Tout ça c’est des détails, je suis sûr que ça  vous intéresse pas. –C’est pas vrai, on veut savoir – Juste un point de détail » insiste le finaud ; – On veut savoir, on veut savoir ! – Alors pour vous, c’est important les points de détail ? – Oui, oui » hurlent les autres sans comprendre. Tout Goldman est là.

            Et  les chansons de ce récital 88 ? On aura droit à  Long is the road  (Américain ») et un superbe medley composé de tous les grands tubes comme Je marche seul, Quand la musique est bonne (« J’ai trop saigné sur les Gibson / J’ai trop rôdé dans les Tobacco road »), Au bout de mes rêves,  Il suffira d’un signe, Envole-moi,  Encore un matin.

L’essentiel cependant  sera constitué des nouvelles chanson du dernier album (un superbe double 30 cm intitulé  Entre gris clair et gris foncé)  qui décline différemment des thèmes qui sont chers à l’auteur-compositeur.

            Le destin individuel par exemple avec A quoi tu sers ? et Il changeait la vie que j’affectionne particulièrement (« C’était un professeur, un simple professeur/ Qui pensait que savoir était un grand trésor / que tous les moins que rien n’avaient pour s’en sortir / Que l’école et le droit qu’a chacun de s’instruire / Il y mettait du temps, du talent et du cœur/ Ainsi passait sa vie au milieu de nos heures / Et loin des beaux discours des grandes théories / A sa tâche chaque jour on pouvait dire de lui / Il changeait la vie. », etc.)

            La différence avec C’est ta chance (« ta force, ta dissonance / Faudra remplacer les « pas de chance » par de l’intelligence / C’est ta chance, pas le choix/ C’est ta chance, ta source, ta dissidence / Toujours prouver deux fois plus que les autres assoupis d’évidence (…) Y a tant d’envies tant de rêves qui naissent d’une vraie souffrance. »)

             Le  besoin brélien d’aller voir ailleurs avec Là-bas  (« J’aurai ma chance, j’aurai mes droits/ N’y va pas / Et la fierté qu’ici je n’ai pas / Là-bas / Tout ce que tu mérites est à toi/ N’y va pas / Ici les autres imposent leur loi / Là-bas / Je te perdrai peut-être là-bas/ N’y va pas / Mais je me perds si je reste là / La vie ne m’a pas laissé le choix. »)

 On trouvera aussi  Il y a (« Une petite école / Et des bancs de bois/ tout comme autrefois / Il y a /  Des images qui collent / Au bout de tes doigts / Et ton coeur qui bat / Et loin de tout, loin de moi / C’est là que tu te sens chez toi / De là que tu pars, où tu reviens chaque fois / Et où tu finiras. »), Peur de rien blues, DouxReprendre c’est voler (« Tu garderas tes X et moi mes XY / Tant pis on sauras pas c’que ça aurait donné/ C’est sûrement mieux comme ça, c’est plus sage, plus correct/ On saura jamais c’qu’en pensait l’intéressé(e) / Mais l’amour , tu peux tout le garder / Un soir je te l’avais donné / Et reprendre, c’est voler »),  Elle a fait un bébé toute seule  et surtout pour finir, le formidable slow  Puisque tu pars. Les flammes des briquets se multiplient alors à  l’infini.

            Goldman semble au sommet de sa gloire ce soir. Enthousiaste, sain, générateur, la tendresse à la boutonnière, il  vise haut et décroche cette étoile à laquelle des milliers de jeunes s’accrochent. L’amour, la paix, la fragilité d’un monde entraîné dans un tourbillon dangereux : en sa compagnie, une jeunesse propre, disciplinée, fidèle monte vers l’autel de celui qui chante haut ce que  beaucoup murmurent.

            Peut-être que ces chansons ne passeront pas à la postérité, mais elles sont de qualité par la profondeur de leurs paroles et la qualité de leurs mélodies et moi aussi, comme les milliers de spectateurs présents à Rennes, j’ai été touché et séduit. Ce soir je me sens  de sa « Famille » (« Même habitant du même temps / Tu es de ma famille, tu es de ma famille/ Croisons nos vies de temps en temps. »)

Jean Vattement

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