Les mystères de Trévarez : La bénédiction des corneilles #3

La bénédiction des corneilles

Par Manon Riquier

Le Château de Trévarez. Photo : Moore.

3. Le conduit de cheminée

– Tous ces internationalistes, ils ont obtenu le droit de s’associer et de conspirer, ça ne leur suffit décidément pas ? L’État va tout mettre dans ses poches : nos églises et nos biens. Qu’est-ce qu’ils veulent à la fin, faire des orphelinats dans des châteaux ?! Allons messieurs, venez, c’est l’heure de la messe. Nos vœux seront peut-être exaucés : deux sangliers, trois biches et le retour du roi !
Sarah B prétexta un problème d’équipement et s’empressa de descendre aux écuries où l’attendait le palefrenier.
– Bien l’bonjour, madame Bernhardt, c’est un privilège que de m’entretenir avec vous, pendant que ceux qui pensent encore tenir notre pays dans le creux de leur main baguée d’or et de diamants s’entretiennent avec ce suppôt du Vatican… Certes, il résiste en faisant la messe en breton, mais ça n’enlève rien à son pouvoir. Il est mauvais, il a de l’influence. Vous verrez, quand ils sortiront de là, ces messieurs seront remontés comme leurs belles automobiles avec leur moteur à explosion.
– Soyez bien aise, mon garçon, je vous prête mes pensées si cela peut vous soulager. Avec de telles personnes, « il faut haïr très peu, car c’est très fatigant. Il faut mépriser beaucoup, pardonner souvent, mais ne jamais oublier ! »
– Ah ! madame Bernhardt, y’a pas à dire vous savez vous exprimer ! Trêve de bavardages, ils ne vont pas tarder, par où est-ce qu’on commence ?
– Une réunion publique déterminante se déroulera exactement dans deux semaines. Il faut entraver l’ascension de monsieur Kerjégu. Il sait s’entourer des plus engoncés dans la belle morale.
Alors que le maréchal-ferrant passait par là, Sarah B acheva la conversation :
– Voyez, monsieur, tout me ravit ici, les plats sont délicieux ; nous nous approchons des saisons froides, eh bien avec ce réseau de tuyauterie, la chaleur du feu de bois se répand partout dans ma chambre, j’en ai presque des vapeurs ! Et ces corneilles noires qui nichent dans les écuries, il me semble que c’est de bon augure pour cette partie de chasse…
D’un clin d’œil, monsieur Maurice, le palefrenier, indiqua qu’il avait reçu le message.

Un petit morceau de papier tombe

Le lundi matin, M Skarzher mène la traditionnelle réunion de coordination. Tous les employés, chacun devant son mug de café attitré, sont tenus d’y assister. Émile, assis à côté du jardinier en chef, retient tout par cœur, tandis que l’équipe de guides se répartit les visites prévues dans la semaine, des scolaires pour l’essentiel excepté l’Amicale laïque de Loqueffret.
Promenant sa tasse, Vincent profite de la pause pour regarder de vieux journaux archivés dans des classeurs. Il en choisit un au hasard et le sort délicatement de sa pochette. Un petit morceau de papier en tombe par terre.
Le message est écrit à la plume : « Madame, je vous attends dans les écuries dès que la messe aura commencé. Maurice, palefrenier ». Un compas avait été dessiné en bas de la feuille.
L’objet semblait tracer un cœur. Vincent s’amuse à penser à une liaison secrète consommée à l’insu du châtelain. Le jeune homme se dépêche de tout remettre en ordre et revient à son bureau. C’est décidé, ce soir, il retournera à ses explorations et fera parler les murs roses.

Sa robe couleur ébène

Le lendemain de la chasse à courre, Sarah B se préparait à festoyer. Un somptueux dîner l’attendait qui promettait des faisans criblés de pruneaux. Sa domestique lui indiqua qu’un ramoneur était passé dans sa chambre pour veiller à l’entretien de la cheminée et qu’elle ne devait pas s’inquiéter.
Elle, Matezhig Le Gast, quatrième du nom ! avait personnellement veillé à ce qu’il ne salisse rien. Elle mentionna aussi que le jeune second du jardinier en chef, nommé Paul, était revenu ce matin de la forêt avec un plein panier de chanterelles qui agrémenteraient délicieusement les plats servis ce soir.
Sarah B la remercia et descendit au salon dans sa robe couleur ébène.
Elle y était attendue pour une petite prestation : elle allait déclamer un extrait du monologue d’Hermione devant l’assemblée, en remerciement pour l’accueil de son hôte.

Il ouvre une trappe

Vincent quitte la classe de CM2 venue de Brasparts. De retour dans son bureau, il s’aperçoit qu’un journal des archives dépasse sous son bloc-note. Sans doute par mégarde. Celui-ci est daté du mercredi 29 octobre 1902.
La Une campait un drame : des corneilles avaient obstrué le conduit de cheminée relié à la chambre de M Monjaret de Kerjégu, le laissant intoxiqué. Le malheureux n’avait pas pu se rendre aux débats qui devaient se tenir à Rennes pour contrer ses adversaires. Le maire de Saint-Goazec s’en prenait à ces oiseaux de malheur et en appelait aux chasseurs afin qu’ils nettoient les environs.

Par chance, la victime avait survécu malgré quelques problèmes respiratoires persistants. Intrigué à la fois par l’accident qui s’était déroulé à l’époque mais aussi par la façon mystérieuse dont le quotidien avait atterri sur son bureau, il le remet sur les étagères et rentre à son appartement. A dix heures, le jeune guide accompagne un groupe de collégiens déjantés dans les pièces du château. Ils n’écoutent décidément rien. Il décide de s’en tenir au strict minimum et de passer rapidement aux jardins.
Arrivés dans la chambre rose, la prof d’histoire géo l’a abandonné pour se rendre aux toilettes. Vincent commence à perdre le contrôle de son groupe, les ados ricanent pour un oui, pour un non. L’un d’entre eux s’approche de la cheminée et s’amuse à taper dessus pour vérifier l’authenticité du marbre. Il ouvre une trappe. Vincent y distingue un objet blanc. Il s’empresse de rassembler les ados dans le couloir.

Photo : Moore.

Au retour de leur professeur, il lui indique qu’il doit retourner à l’intérieur pour éteindre une lampe de chevet. Il pénètre dans la pièce, saisit le papier enfoncé dans le conduit incrusté sur la gauche dans la hotte, puis retourne auprès de son groupe. A la pause de midi, il se met à l’écart de ses collègues et lit la lettre qu’il avait découverte.
« Chère madame Bernhardt, Sachez tout d’abord que j’admire profondément votre talent. Je vous suis infiniment reconnaissante pour vos engagements. Un camarade à la pochette noire que nous appellerons monsieur H a eu l’occasion de participer à la même soirée que vous dans un fameux appartement haussmannien. Il m’a indiqué que vous sembliez fatiguée de vos tournées à l’international et que vous aviez l’intention d’aller vous reposer dans la demeure des bienfaiteurs de notre chère Église.
Or, l’un de mes amis connaît cet endroit, c’est pourquoi je vous le recommande chaleureusement. Vous y apprécierez les sports hippiques. D’ailleurs, vous constaterez que les chevaux sont aussi bien traités que les domestiques par monsieur Maurice, le palefrenier. Un drôle de bonhomme avec qui je vous conseille d’échanger quelques mots en breton. Je vous souhaite, madame
Bernhardt de bien vous remettre de vos fatigues.
Je suis moi-même épuisée de mes séjours à l’ombre mais j’espère toutefois que nous pourrons nous rencontrer prochainement. Prenez bien soin de vous, ayez confiance, les oiseaux noirs veillent sur nous. Ils sont les augures d’un avenir où nos projets se réalisent enfin. Votre amie et dévouée Louise M. »

FIN

Pour suivre le 2 décembre…

Zélie, de Patricia Barthélémy.

Avec La Bénédiction des Corneilles, le blog débute la publication de trois nouvelles policières issues des œuvres de participants à l’atelier d’écriture 2019-2020 de la Bibliothèque. Ces nouvelles ont été créées dans le cadre du concours organisé par la médiathèque de Plonévez-du-Faou et le domaine départemental de Trévarez (Finistère Sud). La publication du texte de Manon Riquier précède celle de Zélie de Patricia Barthélémy et de Tard dans les bosquets au fond du parc de Jean-Yves Ruaux. La publication des nouvelles en trois épisodes a lieu à raison d’une nouvelle par semaine. 

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