Le scandale des algues vertes #2

Aude Rouaux, l’une des réalisatrices du documentaire « Bretagne, une terre sacrifiée », a accepté de répondre à nos questions. Nous avons le plaisir de partager avec vous cette interview par email !

  • Est-ce que c’est pendant votre enfance à Dinan que vous avez été sensibilisée à la cause environnementale ? 

Non. Nous n’avons pas été sensibilisés à la cause environnementale car ce n’était pas, selon moi, encore le « problème » de l’époque. Nous n’avions pas encore conscience de l’urgence climatique. Je suis née au début des années 80 et les préoccupations étaient autres : le chômage, le VIH. Pourtant certains de nos gestes dans ma famille étaient déjà écolos : les consignes de bouteilles en verre, le remplissage de ces bouteilles à la source d’eau minérale de Plancoët, le potager des grands-parents.

  • Peut-être avez-vous des grands-parents, de la famille ou des proches qui ont pratiqué l’agriculture intensive « malgré eux » comme on le constate dans le reportage ?

Mes origines familiales sont sur la côte. Je suis petite-fille, arrière-petite fille, arrière-arrière-petite fille de marins bretons. C’est en tournant un documentaire sur les pesticides dans le bordelais pour la chaîne France 5 en 2015 que j’ai commencé à entrevoir les conséquences néfastes de l’agriculture intensive et la très faible marge de manœuvre des agriculteurs emprisonnés dans ce système. Pour les viticulteurs bordelais comme pour l’éleveur breton de vaches laitières Christophe Thomas, qui a participé à notre documentaire, les problèmes sont les mêmes : dans le modèle intensif développé après la Seconde guerre mondiale, il faut produire toujours plus et pour produire toujours plus, les agriculteurs s’endettent en achetant des outils (des pesticides notamment) qui mettent leur santé en jeu et l’environnement en danger. Je le répète : les agriculteurs sont les premières victimes des pesticides.

  • Considérez-vous que c’est un engagement à part entière, et comment s’articule cet engagement avec votre métier de journaliste ?

L’engagement, ce sont les personnages du documentaire qui le portent. Mon rôle est de retranscrire le constat qu’ils font sur le terrain. Ce sont eux les lanceurs d’alerte. Mon travail est plus global dans le sens où l’écologie est un sujet qui me tient à cœur, mais tous mes documentaires ne sont pas orientés par rapport à cette thématique. Certes, j’ai commencé mon métier dans une émission qui s’appelait Global Mag sur Arte, où nous faisions des reportages à travers la planète sur l’environnement. La fibre est là, en moi. Mais je m’interdis de ne parler que de ça. C’est pour moi la définition du journalisme, savoir faire des grands écarts, avoir un œil ouvert sur tout.

  • Les rencontres avec les agriculteurs et agricultrices, militant.es, salarié.es et ancien.nes salarié.es de coopératives agricoles ont-ils changé votre regard? Vous ont donné envie de poursuivre les investigations dans ce domaine ?

Les rencontres avec Yann Auffray, Yves-Marie Le Lay, Morgan Large, Christophe Thomas, Raymond et Noël Pouliquen, m’ont éclairées. Je savais qu’il y avait un problème d’algues vertes en Bretagne mais je ne m’étais jamais posée la question du pourquoi et du comment. J’avais même l’impression que c’était du passé. Je suis « expatriée » à Paris depuis plus de 10 ans, je n’avais jusqu’ici pas pris connaissance du malaise et des limites de l’agriculture intensive. Il a fallu un article du journal Le Monde sur les travaux d’Inès Léraud en 2018 pour que je m’y intéresse. Et qu’enfin j’ouvre les yeux sur ce qui se passe chez moi. La Bretagne est la région la plus belle au monde. Ça ne veut pas pour autant dire que tout va bien. Après la diffusion du documentaire, j’ai été fortement étonnée par les réactions des hommes politiques bretons. Tous ont hurlé au loup, parlant d’un documentaire « à charge », « d’agribashing », ce qui est aux antipodes de ce que nous avons réalisé. Nous insistons encore et toujours dans le film sur le fait que les agriculteurs ne sont pas coupables des problèmes environnementaux en Bretagne. J’en viens à me demander si ces mêmes hommes politiques l’ont regardé. Il faut dire que nous sommes à quelques mois des élections régionales, et ce ne doit pas être le bon moment pour se mettre à dos l’agroalimentaire et les syndicats agricoles bretons. Donc pour répondre à votre question, oui une investigation sur les liens entre politique et agroalimentaire en Bretagne m’intéresserait.

  • Vous soulignez dans votre reportage que le rôle des pouvoirs publics est très important dans la gestion de cette pollution, mais aussi la société dans son ensemble : on se sent toutes et tous concernés. A ce titre, quel rôle pensez-vous que les bibliothèques peuvent jouer dans la protection de l’environnement ?

Les bibliothèques ont un rôle d’information et d’éducation à jouer. Information pour les adultes, en mettant en avant des enquêtes environnementales fouillées. Éducation pour les enfants, en les incitant à mieux respecter (que nous) notre bien commun : la terre. Je mise tout sur la génération suivante !

  • Voudriez-vous partager avec nous un coup de cœur pour un document ayant ou pas un lien avec les algues vertes, et qui serait selon vous d’utilité publique qu’on ait à la bibliothèque? (Nous avons la BD D’inès Léraud et Pierre Van Hove,  et l’achat du livre d’Yves Marie Le Lay est en cours). Un film ? Un roman ? Un livre pour les enfants ?

Le livre Toxic Bayer de Martin Boudot. Il a rencontré des employés de Bayer, des militants et des personnes qui se disent victimes des agissements de l’entreprise. Incroyable de cynisme quand on sait que la firme vend des pesticides cancérigènes dont le célèbre Round Up et à l’inverse, des traitements contre le cancer.

Aude ROUAUX
Réalisatrice – Journaliste

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