Des lycéens dinannais ont participé à l’élection du Prix Goncourt des lycéens 2020.
Chaque jeudi, nous vous proposons de découvrir les critiques des élèves de Terminale du lycée La Fontaine des eaux à Dinan qui ont lu les ouvrages de la sélection Goncourt. Avec Mme Clémence Scharr, leur professeure, ils ont été sélectionnés pour participer à l’élection du Prix Goncourt des lycéens 2020.
Aujourd’hui les avis sur Les funambules de Mohammed Aïssaoui, Yoga d’Emmanuel Carrère, Saturne de Sarah Chiche, Un crime sans importance d’Irène Frain et Thésée, sa vie nouvelle de Camille de Toledo.
Les funambules, Mohammed Aïssaoui, Gallimard, 2020. 218 p.

Enquêtes d’équilibre
Les funambules de Mohammed Aïssaoui est un livre que j’ai beaucoup apprécié : je l’ai trouvé très émouvant. Il raconte la vie bosselée de plusieurs personnages et c’est très touchant car chaque histoire nous donne des leçons de vie, nous confronte à des situations inédites et nous enseigne la façon dont les personnages vivent ces situations.
Au fil de la lecture, on s’aperçoit que le narrateur aussi est un funambule puisqu’il ne se sent nulle part chez lui. Il nous fait prendre conscience que nous sommes tous des funambules, « chacun porte une fêlure en lui » selon les mots de l’auteur, qu’il soit pauvre ou milliardaire. Personne n’est épargné.
Ce livre génère de l’empathie et fait appel à notre humanité. Il nous rappelle qu’il faut regarder tout autour de nous car chaque personne a son propre vécu, son taux de douleurs, de peines, de joie…
J’ai aussi beaucoup aimé la structure du livre, le fait que ce soit un « roman-reportage » sur le fonctionnement des Restos du cœur, sur la manière dont les bénévoles s’organisent pour venir en aide aux plus démunis et sur ce qu’ils ressentent.
Les descriptions permettent de visualiser et de s’attacher plus facilement et davantage aux personnes. L’auteur nous donne l’impression de vraiment les connaître.
Un seul bémol : je trouve que le narrateur reste assez distant avec les personnages face à leur récit ce qui donne parfois une impression de détachement. De fait, le narrateur ne me paraît touché personnellement par la vie de ces personnes.
Capucine Nicolas.
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Yoga, Emmanuel Carrère, P.O.L., 2020. 397 p.

Emmanuel Carrère publie Yoga aux éditions P.O.L. C’est un récit autobiographique retraçant la guérison psychologique de l’auteur à travers le yoga : une pratique cherchant à réunir l’individu avec le principe même de l’existence.
A la lecture de la quatrième de couverture j’ai tout de suite été emballée. Je me suis demandé comment le yoga avait pu aider des individus à sortir de la dépression et j’ai été intriguée par le lien entre le yoga et le terrorisme. En somme, j’étais très enthousiaste. J’ai pourtant très vite été déçue. Au commencement du livre j’ai vraiment apprécié toutes les références au yoga ainsi que les nombreuses définitions personnelles sur la méditation. Mais pour être franche, ce sont les seuls éléments que j’ai aimés.
En effet, le choix du titre ne correspond finalement que très peu avec le contenu du livre, le résumé lui non plus ne coïncide pas avec le récit. L’auteur ne parle que de lui et ne s’intéresse à rien d’autre que lui-même ! Il renvoie d’après moi une image égocentrique et dessert ainsi son ouvrage. Il ne laisse aucune place à l’investissement du lecteur ce qui provoque de manière prématurée la lassitude.
Enfin le Goncourt n’est-il pas un prix destiné aux œuvres de fiction ? A coup sûr, Yoga n’en est pas une. Il n’a donc pas sa place dans la sélection !
Elisa Pilorge.
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Saturne, Sarah Chiche, Seuil, 2020. 204 p.

Saturne écrit par Sarah Chiche est un roman de fiction basé sur des faits réels, qu’elle a elle-même vécus.
J’ai beaucoup apprécié ce roman. En effet, il se lit facilement car la lecture se fait de manière fluide, sans vocabulaire compliqué ou incompréhensible. De plus, l’histoire racontée à travers ce roman est écrite avec une certaine poésie, une plume très fine, avec des mots justes, qui nous permettent de partager les émotions que les personnages ressentent. Le roman est très touchant et amène le lecteur à se « prendre d’affection » pour les personnages de l’histoire.
Par ailleurs, Saturne s’attache à raconter plusieurs histoires, en proposant une plongée dans le passé douloureux d’une famille, en revenant des générations en arrière. Sa construction, très originale, donne accès aux deux côtés de la famille de l’héroïne et nous fait percevoir des points de vue différents sur les tempéraments des protagonistes. Elle aide le lecteur à comprendre l’enjeu, le milieu dans lequel le personnage principal vit et les raisons pour lesquelles elle ne se sent pas à sa place dans ce milieu. Elle favorise également l’attachement vis-à-vis du personnage central.
Noémie François.
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Saturne est le premier livre que j’ai lu de la sélection Goncourt 2020. Et c’est un livre qui m’a plu, je n’ai pas été déçue. Simple à lire, Saturne raconte l’histoire de son auteure, Sarah Chiche. C’est une femme endeuillée par la mort de son père qu’elle n’a presque pas connu et qui raconte l’histoire d’une famille aux mille facettes. Le lecteur suit tout au long du roman la vie de nombreux membres de cette famille, en particulier celle du père de Sarah, Harry, atteint d’une leucémie, de sa mère Eve, de son oncle Armand, de ses grands-parents paternels, Louise et Joseph. C’est l’histoire d’une famille bouleversante et brisée. Sarah n’a que 15 mois lorsque son père meurt. C’est sa mère, Eve qui lui raconte la vie de son père, seule manière pour Sarah de construire des souvenirs de celui qu’elle a si peu connu. Le lecteur peut avoir accès aux pensées de la narratrice qui éprouve le besoin de s’exprimer à propos de ses sentiments, de ses blessures et de son mal-être.
Dans ce livre nous comprenons que chaque personnage occupe une place importante dans la vie de l’auteure. Chaque personnage est une nouvelle pièce qui s’ajoute au puzzle. Et tout au long du roman, le lecteur est plongé dans l’esprit de l’auteure et partage ainsi son vécu. Sarah Chiche a besoin d’adresser un récit fait de mots pour soulager ses maux. L’écriture est pour elle une thérapie.
Ce roman retrace trois époques : aujourd’hui, Mai 68 et la guerre d’Algérie, pays dont les grands-parents de Sarah Chiche sont originaires. Au fur et à mesure que le récit avance, Sarah Chiche se reconstruit. Ce livre lui permet de dessiner les grands moments de l’histoire familiale et personnelle : l’histoire de ses grands-parents, la passion amoureuse de ses parents, Eve et Harry, vécue malgré l’avis de l’entourage, la dualité entre Harry et son frère Armand, les problèmes d’argent.
L’écriture de ce récit permet peu à peu à Sarah Chiche de se reconstruire. A chaque nouveau chapitre, Sarah Chiche devient une femme plus forte. Si les thèmes principaux concernent les liens familiaux, la médecine et les souvenirs, l’auteure aborde aussi sa maladie psychique, à elle qui est non seulement romancière mais aussi psychanalyste.
Enya Pommenof.
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Un crime sans importance, Irène Frain, Seuil, 2020. 249 p. (Prix Interallié 2020)

Un crime sans importance écrit par la romancière Irène Frain est à la fois un livre de genre mystérieux et d’inspiration autobiographique. En effet, ce récit romance l’assassinat non élucidé d’une femme de 79 ans, Denise, la sœur de l’auteure et le déroulement peu sérieux de l’enquête qui s’ensuit. L’œuvre met en lumière le crime sauvage de la femme âgée et plonge le lecteur dans une affaire trop discrète, injuste et ainsi dénonce de nombreux comportements sociaux.
Cette œuvre n’a-t-elle pas un caractère trop personnel ? Non ! C’est un livre ouvert au public, centré sur la bataille contre le silence, celui des crimes jugés « sans importance », ici celui de Denise. C’est également un moyen pour la romancière d’exprimer sa colère, de faire son introspection et enfin d’associer des mots à ses sentiments.
De ce fait, les principaux intervenants sont Irène, la narratrice, et sœur de la défunte et Denise la victime septuagénaire. Le roman fait aussi apparaître plusieurs instances annexes comme la police, et plus largement les instances judiciaires mais aussi la société tout entière avec ses failles.
Irène Frain fait débuter immédiatement son ouvrage par l’immersion dans les faits du crime. Elle ne s’introduit comme personnage dans l’histoire que dans un deuxième temps. Le style d’écriture est très accessible et lisible par tous. De ce fait, le livre atteint son objectif d’une large compréhension. Le livre dénonce à sa guise le silence et pose des questions d’actualité telles que l’efficacité des procédures ou encore la place qu’occupent les personnes âges dans notre société. De mon point de vue de lectrice, commencer d’emblée par le récit des faits tient le lecteur en haleine. A contrario, la fin du livre m’a semblé redondante, le rythme est moins captivant, il est long et même assez plat.
A titre personnel j’ai apprécié le thème et les enjeux traités : ils sont importants. En tant que lecteur, nous nous sentons impliqués dans l’affaire. Le portrait des deux sœurs est en outre très touchant.
Ainsi je conseille la lecture d’Un crime sans importance. C’est un livre qui mérite de figurer parmi les sélections de prix littéraires. Il mérite de bénéficier d’une visibilité suffisante pour que le silence injuste, qui touche les affaires des personnes âgées dans l’opinion publique, soit dénoncé.
Yaëlle Collet.

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Thésée, sa vie nouvelle, Camille de Toledo, Verdier, 2020, 256 p. (Prix du Club-lecture de la Bibliothèque municipale de Dinan 2020)

Dans ce livre nous suivons le personnage de Thésée qui quitte la « ville de l’Ouest » pour partir vers l’Est car il veut fuir les siens. Il emmène avec lui trois cartons et ses enfants.
Je n’ai pas vraiment aimé ce livre. Il faut néanmoins souligner qu’il est réellement très bien écrit, avec une syntaxe qui sort de l’ordinaire, ce qui est assez plaisant. Seulement c’est un ouvrage très sombre : suicide au début du livre, deuil, fuite du passé… L’expression « vie nouvelle » présente dans le titre me laissait espérer une vie meilleure pour le personnage. Il n’en est rien ! Le passé rattrape Thésée. Les images qui accompagnent l’histoire m’ont dérangée jusqu’à me faire pleurer. A sa décharge, ce roman n’est pas le seul de la sélection Goncourt à m’avoir attristée profondément ni le seul à évoquer le deuil ou la mort.
Le prix Goncourt n’est-il pas censé récompenser un roman, une histoire fictive ? Une fois encore, le roman de Camille de Toledo n’est pas le seul à pouvoir recevoir une telle critique mais de mon point de vue, il n’a pas totalement sa place dans cette sélection.
Mathilde Douard.
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Suite et fin de ces chroniques littéraires
sur le blog le jeudi 17 décembre.
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Retour sur la genèse du projet :
« Ceci n’est pas une classe mais un groupe rassemblé autour d’une curiosité commune pour la littérature. Nous sommes trente élèves de sept classes de Terminale ayant choisi des parcours différents (Histoire-géo, littérature anglaise, SES ou SVT). Six heures par semaine, nous nous retrouvons pourtant en cours d’Hlphi (Humanité, littérature et Philosophie) où nous pouvons échanger, débattre et partager nos savoirs et nos intérêts. Faire partie du jury du prix Goncourt des lycéens constitue pour nous une belle opportunité de poursuivre nos discussions et de les étendre à de nouveaux sujets. Nous pouvons ainsi découvrir de nouveaux livres et auteurs et aborder la littérature en dehors du cadre scolaire. Enfin, nous sommes très fiers de pouvoir participer à la récompense d’une œuvre avec un prix aussi prestigieux que le Goncourt des lycéens. »
A noter que ces jeunes dinannais ont lu la même liste (excepté le roman de Carole Martinez, auteure ayant déjà reçu le Prix Goncourt des lycéens) que les membres du Club-lecture de la Bibliothèque municipale de Dinan. Ces derniers ont voté pour leur préféré (Prix du Club-lecture de la Bibliothèque municipale de Dinan 2020) le 17 novembre et couronné Thésée, sa vie nouvelle de Camille de Toledo.
Vous retrouverez le partage de toutes les critiques sur les ouvrages en lice dans le N° 196 de Lire sur les remparts !, bulletin du Club-lecture.