Soupçons sur la Rue Rolland #2

« Il avait un visage curieux, blafard et inexpressif.
Un visage qui devait avoir perdu ses couleurs depuis longtemps. »

John Le Carré (1931-2020), L’espion qui venait du froid.

Étrange situation : la monumentalité du hangar du 5 ne peut-elle en faire
la resserre illicite de trafics discrets ?

Photo Gérard Ménard.

2. Les bizarreries
d’un portrait sans visage


Qui M ou les M sont-ils réellement ? N’ont-ils pas asservi en silence la totalité de la rue à leurs missions discrètes ? A quoi ressemblent-ils ? Et leurs actions, si elles existent, dans quel domaine, aux dépens de qui s’exercent-elles ? Avec quelles armes ?

Pas le moindre chemin de traverse ! Aucune échappatoire ne nous était laissée ! Aucune. Les ordres étaient formels. Veiller, traquer, rendre compte. Mais, qu’y avait-il à découvrir que nous ne pensions savoir ou ne pressentions déjà sur M ou sur les M ? Nous nous sommes posés une heure et dix minutes entre 15h30 et 16h40 le samedi 22 août dans la rue Rolland sur le trottoir du N°5.

Ne baissez jamais la garde !

Le numéro 5 fait très exactement face à l’immeuble du 10 dont le mode d’occupation a motivé, avec le 18, l’enquête pour laquelle nous avons été diligentés par une autorité responsable que l’on ne peut citer.
Notre cible, des individus, hommes et femmes, un couple peut-être, anodin, jusque-là non identifiés et aux activités difficilement identifiables. Des visages anonymes, sans le moindre signe particulier que l’on pourrait mémoriser. Des gens dont il faudrait tracer le portrait sans connaître leur visage, leur silhouette. Des portraits sans visage. Des ombres. S’en méfier, se méfier, de tout, des proches en particulier, observer, constamment, demeurer sur le qui-vive.
Car ni les espions, ni les tueurs en série n’ont des têtes d’espions, ni de tueurs en série. Même Fourniret[1] . Il n’a pas du tout la tête du monstre qu’il est. Plutôt la bobine standard d’un retraité de l’éducation écolo, amateur de randonnées et abonné au salon du camping-car avec ses fines lunettes, sa petite barbe, sa mine austère. Ne baissez jamais la garde car l’agent ennemi n’a jamais le physique de l’emploi. Et votre ami peut être l’ennemi. Sans parler des M ou du groupe M. Toujours demeurer sur la brèche. Même lorsque rien ne semble se passer. Surtout quand rien ne se passe. Attendre. Rue Rolland. Attendre. Les événements sont patients.

Nous étions vulnérables

Le blocage épisodique de la rue par les travaux ne résultait-il
pas de l’action des M pour en écarter les curieux ?

Photo Gérard Ménard.

Il est à constater que durant les 70 minutes de notre faction, aucune action, aucune allée ou venue n’a pu être constatée. Personne même n’a emprunté l’un ou l’autre des deux trottoirs concernés.
Seul l’habitant du 9 est apparu pour sortir sa poubelle sur le trottoir. Le 9 est l’une des deux seules maisons avec jardin et verdure apparents, avec le 7.
Pour information, notons que la cour du 3 recèle un autre pavillon doté d’un important espace de verdure dissimulé aux regards par une série de garages. Aucun détail ne doit échapper à l’observateur. Tout est signe, tout fait sens ou fera sens. Tiens, voici un sujet à interrogations, la poubelle (jaune) du 9 qui possède aussi des poubelles sur roues, grises et marron.  S’agit-il d’un code de couleurs ? D’un signe de reconnaissance dissuadant une livraison ou un enlèvement de marchandises dans la rue ? Possible. Le choix du samedi l’accréditerait[2]. Car aucun passage des camions et bennes de la voirie n’est prévu durant le week-end. La rue est même programmée pour le mardi matin, selon le personnel de l’agglomération. Nos veilleurs risquaient-ils d’être pris à partie ? Faute d’une meilleure connaissance des M que nous étions là pour acquérir, nous étions vulnérables. Mais nous savions ne pas être dans la cible du groupe ou du couple voire de l’individu M. Lui non plus n’avait peut-être pas les moyens de nous atteindre et sans doute préférait-il les réserver pour atteindre sa cible qui, à des centaines voire des milliers de kilomètres, s’apercevrait qu’elle était visée uniquement au moment où le commando fondrait sur elle. M chef de guerre souterraine ? A moins que, peut-être, il ne fut tranquillement en train d’écouter Brahms à la radio en attendant au 10 que le lave-linge ait effectué tous ses tours jusqu’à l’essorage seulement puisque le séchage servait à manifester une présence ? Mais cela l’empêchait-il d’agir si nécessaire à distance ? Du théâtre. Sa maison, sa rue ? Une mise en scène. Un leurre. Des vies aux couleurs de l’illusion.
Faut-il en déduire le caractère factice de la voie, faut-il en déduire que le peu de piétons ou de voitures qui y circulent ne seraient là que pour l’apparence, pour donner le change et que la réalité serait celle d’une circulation intérieure, souterraine sans doute, entre les bâtisses du côté pair ? On ne saurait l’exclure avec le blocage épisodique de la voie.

Faut-il penser que la dévolution de la rue au vélo résulte d’une action des M visant à en écarter nombre de curieux qui auraient pu perturber leur activité confidentielle et gêner leurs allées et venues si particulières, voire des transports suspects ?  Le vélo en allié d’espions aux actions nocives ? Pourquoi pas. L’invisibilité des M était une trace supplémentaire d’un machiavélisme et d’une science de la manipulation qui s’était manifestée avant même que nous ne commencions à nous intéresser à leurs manœuvres.

Renault Trafic L2H1 2.0

Mais il faut maintenant remonter à l’origine de l’affaire qui a déclenché les séquences d’observation de la rue. On va en venir à la genèse des faits, de la rumeur. Elle a déclenché les surveillances qui ont été réalisées en déambulation, mais aussi par stationnement H24/24 dans la semaine 31 de l’année, soit en fin d’été, d’un fourgon Renault Trafic L2H1 2.0 Energy dCi 145.
Le véhicule est spécialement aménagé pour la planque avec vitres blindées sans tain et panneaux brouillés. Il est nanti de fausses plaques d’immatriculation intraçables.

Les origines donc.

Le 28 octobre 2019 un malencontreuse inondation, sans doute provoquée volontairement, « chassait »  pour un temps Mme et M « M » de leur domicile, une maison sise dans un autre contexte discret de la ville, l’impasse Maréchal Juin.
L’article de presse (29/10/2019) rendant compte de l’accident présumé – mais était-ce bien un accident ? – mentionnait le relogement de Mme et M M Rue Rolland, sans précision de numéro, sans doute à leur demande de discrétion : « Nous avons retrouvé un appartement meublé, à Dinan, pour nous loger, mais on espère bien être de retour chez nous un jour. On nous parle d’un an de travaux pour tout remettre en état, alors on se dit que dans dix-huit mois on y sera peut-être. »

Le quotidien s’était toutefois abstenu de publier la photo de Mme et M M.
A moins que la/le journaliste n’ait été menacé s’il l’osait. 
Ni le personnel de la Librairie des Rouairies (16 rue Rolland et 15 rue des Rouairies), ni celui du restaurant le « A boire, à manger, mais pas que » (19 rue Rolland), ni la vendeuse de Mick & Sand (angle Rolland/Rouairies) n’ont jamais vu de mouvement au niveau du 10, du 18 et a fortiori d’emménagement.

Une vraie vitrine ?

Qui a voulu instrumenter la vitrine d’une activité réelle ? Doit-on penser à un simulacre ?
Photo Gérard Ménard.

Nous aurions aimé interroger les permanents de la Maison du Prisonnier de Guerre (13, rue Rolland), notre courriel nous est revenu comme une fin de non-recevoir par voie électronique. Erreur de notre part ou…? Là encore, qui a voulu instrumenter la vitrine d’une activité réelle ? Doit-on penser à un simulacre, de l’usage subreptice de l’image de la façade sur rue par un groupe d’action, une équipe dirigée par les M ? Le local a aussi conservé en filigrane les lignes d’un ancien magasin d’ébénisterie[3]. Ce fait corrobore d’autres hypothèses. Il incite à penser que l’immeuble présente une devanture suffisamment neutre pour dissuader de s’intéresser à des activités ou des présences peu aisées à qualifier, faute de tangible. Trouvera-t-on dans cette proximité un nouveau rapport avec la présence avérée de Marchand, un officier supérieur, et de forces spéciales ? La main des M ?

Ce qui, une fois de plus dans notre enquête conduit à s’interroger sur la correspondance entre la claire vocation affichée de la boutique, la réalité silencieuse de la rue Rolland et la difficile reconstitution du faisceau d’activités confidentielles des M.

Des gens de la Sécurité intérieure

Recouper les informations matérielles dont nous disposions et celles fournies par les sites Internet et réseaux sociaux variés nous a amené à établir un portrait par contumace des sinistrés relogés. Un bizarre portrait sans traits physiques. Avec toujours la même question : un couple ou un groupe ? Quel groupe ? Quel objectif ? Œuvrant pour quelle puissance ?
 A priori, il s’agirait de vigoureux retraités, des gens de la Sécurité intérieure (un indice ? ). La ou les femmes, elle(s) aussi. Toutes rompues aux armes, aux arts martiaux, aux techniques de prise de contrôle des biens et des corps.
 Elle(s) serai(en)t apparemment sans profession. Une couverture évitant les questions. Mais elle(s) arborerai(en)t, la coiffure courte de règle pour les personnels féminins des sections d’assaut des services action du contre-espionnage (SDECE). L’unique ensemble photo-document dont nous disposons constituerait une véritable information s’ils ne s’agissait d’un  tirage de prise de vue de mauvaise qualité agrandie à la limite de la pixellisation. Mais toutefois, d’un cliché de provenance militaire officieuse.

La présentation de photos des personnes à leurs nouveaux (rue Rolland) comme à leurs anciens voisins présumés (impasse maréchal Juin) n’a pas donné le moindre résultat.

Les factures d’énergie accréditent toutefois la possibilité que les M aient résidé depuis plus de cinq ans dans la ville mais avec une consommation correspondant à la norme pour six à huit personnes, et non deux.  S’agit-il d’une police clandestine ? De fonctionnaires ? D’une cellule furtive ?  De mercenaires ?

 De quelles besognes avaient-ils été chargés ?

Un présumé retraité, répondant soi-disant au nom de « M », a parfois été vu au cours des années 2016 à 2019 le mardi après midi aux archives paroissiales et le mercredi à la Bibliothèque collégiale. Des demandes écrites de liasses et de dossiers ont été enregistrées à son nom. Mais rien ni empreintes, ni traces génétiques n’ont assuré de la coïncidence réelle entre la personne et le nom. Comme s’il était question, d’agents opérant sous des identités d’emprunt. Ce qui est très rare dans une petite ville.
 Rien n’assure non plus qu’il se soit agit à chaque fois de la même personne.
Ni les archivistes, ni les bibliothécaires, qui ont pourtant répondu avec beaucoup de bienveillance (voir liste en annexe) aux interrogations des enquêteurs, n’ont pu nous donner la moindre assurance. Car, et de manière surprenante, ils ne sont pas parvenus à s’accorder sur la moindre esquisse d’un portrait-robot.

Diverses hypothèses se greffent sur ces conjectures qui demeurent floues même s’il paraît acquis que l’ensemble immobilier de la rue Rolland soit une base discrète de services officieux de la République. Des services destinés à l’accomplissement de sales besognes dont nul ne revendiquera la paternité. Mais de quelles besognes les M avaient-ils donc été chargés ? De quel sanglant grand ménage que même la presse tairait ? Par qui ? Ne nous faudrait-il pas traquer aussi leurs commanditaires ?

Pour suivre

3. Morts, égorgés, ensevelis ?


[1] Tueur en série né en 1942, auteur d’une dizaine de meurtres, notamment dans les Ardennes. Ce chiffre approximatif, et probablement sous-estimé, ne tient pas compte de ceux dont il ne se souvient plus du fait de sa démence sénile. Sans savoir non plus si des victimes de ses sévices ne s’ajoutent pas à cette macabre somme, ensevelies en des endroits désormais oubliés.

[2] A ce sujet voir l’étude de David Cornwell sur la signalisation des boîtes à lettres mortes autorisant la communication des services avec leurs agents dormants.

[3] Il s’agit là d’une couverture courante, totale ou partielle d’une activité et d’échanges clandestins. Le souci de la vraisemblance amène usuellement à donner une rentabilité au magasin de couverture. La Maison du Prisonnier évoque le bénéfice de la mutualisation d’actions et de prestations lié à l’univers associatif.

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