Il n’était pas possible de résister à ce livre dans la vitrine de la librairie devant laquelle je suis passée mille fois remarquant :
- Tout d’abord cette magnifique reproduction du tableau « Pins à Loctudy » de Maurice Denis qui illustre la jaquette de ce roman de Marie Sizun.
- Ensuite ce titre « La maison de Bretagne » qui active notre imaginaire.

L’auteure Marie Sizun, je ne la connais pas, mais pour ces deux raisons, partons à sa découverte.
Claire Werner, la presque cinquantaine, habite à Paris et travaille dans une compagnie d’assurances. Elle est la seule héritière de « La maison de Bretagne ». Mais cette maison lui renvoie de bien sombres souvenirs.
« Il faut la vendre cette baraque ! » dit-elle.
Un roman qui se déroule sur une semaine. C’est ainsi que le dimanche 5 octobre, Claire quitte Paris pour l’Île Tudy en voiture. Les rendez-vous avec le notaire et l’agent immobilier sont pris et Claire est bien décidée à se débarrasser de cette maison et solder le passé.
Cette maison achetée par Berthe, la grand-mère maternelle, est la maison des étés qu’on appelait « La maison de Bretagne ». Marie Sizun nous décrit ainsi cette petite maison du boulevard de l’Océan !… « Cette maison bizarre, pas comme les autres. Pas soignée. Pas belle. Différentes des maisons voisines… La maison des veuves, disaient les voisins… ça voulait dire que, dans cette maison-là, il n’y avait pas d’homme. Ou plutôt qu’il n’y en avait plus. La seule véritable veuve en fait, c’était ma grand-mère. »
A son arrivée, Claire constate qu’un volet est ouvert et bat au vent. Quelqu’un s’est-il introduit dans la maison ? Claire y fait une macabre découverte : un cadavre dans la chambre du rez-de-chaussée. Surprise, effroi bien évidemment et dégoût aussi mais « les mèches blondes, en courtes mèches désordonnées » la font frissonner et un instant de folie la traverse au point de croire « que son père était revenu » (p. 29).
C’est le détonateur du roman.
Les retrouvailles avec cette maison font resurgir les évènements du passé et l’histoire de Claire Werner va re-défiler : une mère minée par la tristesse depuis que son mari l’a quittée pour se volatiliser en Argentine ; un père et sa fille (Claire) qui s’adorent mais le père abandonne la famille ; une sœur, fragile, pas désirée et mal-aimée que Claire déteste et maintenant Claire mène une vie de solitude : des mal-aimés, des « qui ne s’aiment plus » ou des « qui ne sont plus capables d’aimer ».
L’originalité de la romancière est de nous raconter l’histoire comme un peintre le ferait. Dans le bouleversement des sentiments et des émotions de Claire, les zones d’ombre des souvenirs malheureux qui encombrent sa vie vont prendre un autre éclairage et un autre sens.
De ces souvenirs douloureux et tristes vont ressortir des étincelles et des moments de bonheur, comme un peintre met ses couleurs sur sa toile et les travaille pour en faire ressortir la lumière.
Clin d’œil et complicité intime avec ce père adoré, peintre, qui va transmettre à sa fille ce goût pour la peinture en l’emmenant dans son atelier. Le souvenir oublié revient en cascade. « J’ai posé une touche de bleu sur la toile blanche, puis une autre de jaune, et de nouveau une plus épaisse de bleu et c’était bon de voir les couleurs s’animer, découvrant des verts improbables, d’autres bleus, d’autres jaunes, et formant des espèces de figures si inattendues que j’en avais été transportée » (p. 87).
La maison reprend vie. Un atelier de peinture va y trouver sa place. « Cette maison des veuves » va renouer des liens avec son entourage et le voisinage, « les locaux », comme on dit. Yvonne en fait partie et fut la confidente de la mère de Claire. Les mots réconfortants et les témoignages de cette femme, que Claire va entendre, cicatrisent et réparent les blessures et les rancœurs.
Une semaine de thérapie jusqu’à ce que la vie dans « La maison de Bretagne » devienne simple et tranquille.
Un roman de portraits de femmes qui ne se raconte pas mais se lit.
Une romancière amoureuse de la Bretagne.
La romancière est peintre, elle aime la Bretagne, ce qui rend ce roman original et le fait résonner vrai.
Les descriptions nous enchantent : « Quand j’ai été de retour à l’Île, déjà la lumière avait baissé, et le soleil de six heures projetait sur l’étang des reflets verdâtres, tandis que le soleil commençait imperceptiblement de rosir. Il y avait dans l’air un parfum presque oriental d’eucalyptus » (p. 138).
« La Bretagne,… sous la forme d’un bleu et d’un or et d’un brun magnifiques envahissant une toile blanche, et cette splendeur me disait combien ce pays était beau… » (p. 212).
Un roman sans prétention mais grâce à cette originalité d’écriture métissée de peinture, il nous renvoie aux beaux livres des peintres post impressionnistes et nabis de la fin du XIXème siècle. Maurice Denis – dont « Les pins de Loctudy »orne la jaquette du livre -, mais aussi Paul Sérusier, Émile Bernard, Félix Valotton et tous les autres qui nous ont ébloui.
Au moment où nous sommes privés de musées, d’expositions ou de galeries, captons cette occasion de nous évader.
Marie Sizun est agrégée de lettres classiques et a enseigné la littérature à Paris, en Belgique et en Allemagne. A la retraite, elle se consacre à l’écriture et publie ses romans aux Éditions Arléa – 2007, « La femme de l’Allemand » obtient le Grand Prix littéraire des lectrices de Elle et prix du Télegramme. |
Catherine Ménard-Mars 2021