Un feuilleton policier humoristique, écologique et local, conçu et produit par l’atelier d’écriture de la Bibliothèque municipale, animé par Jean-Yves Ruaux avec le concours de Patricia Barthélémy, Valérie Boulanger-Raichman, Anne et Laurent Champs-Massart.
Épisode 1
Poison, stupéfiant ?
C’était un mois de juin plein de lumière. A la terrasse des cafés, habitués et visiteurs faisaient tinter leurs verres, au son de la joute nautique en cours sur la Rance. Dressés à l’extrémité de leurs barques, les jouteurs manœuvraient d’immenses perches pour faire tomber leurs adversaires à l’eau. Côté Léhon du Vieux-Pont, en revanche, régnait le calme monastique des eaux dormantes.

Gérard, grand spécialiste d’histoire maritime, se tenait devant sa bouquinerie du quai, cigarette aux lèvres. La moue dédaigneuse, il expliquait à qui voulait l’entendre que ces jeux n’avaient rien à voir avec les joutes d’autrefois. Plus tard, compulsant un ouvrage spécialisé, il argumentait : « des perches de 6 mètres de long, ça ne s’est jamais vu. Ces grands enfants n’y connaissent rien… »
Il avait failli abattre la conductrice
C’est alors que Gérard vit ses voisins, Corine et Gilbert Massalle, se précipiter vers lui. Il les aimait bien ceux-là, des grands voyageurs que leurs longues pérégrinations avaient enrichis de savoirs insolites. Ils étaient certes un peu distants, mais c’étaient les seuls, dans le voisinage, à fouiller tout au fond des rayonnages pour en extraire des ouvrages oubliés. Et puis, comment un bouquiniste n’aimerait-il pas des écrivains ? « Gérard, vous avez un téléphone ? », s’écria Gilbert, paniqué. Le bouquiniste lui tendit l’appareil. Corine Massalle s’en empara, composa un numéro et, d’une voix altérée, prononça : « Le commissaire ? » Une pause, puis Gérard entendit : « Nous venons de trouver un cadavre, chez nous, dans notre salon. Au n°34, rue du quai. » Dix minutes plus tard, le commissaire Erwan Le Guennec manœuvrait à travers la foule et se garait sur le port.
Depuis qu’il avait failli abattre la conductrice du petit train touristique, quelques années plus tôt (un effet d’optique…), Erwan Le Guennec ne prenait plus son revolver. Mais toujours l’accompagnait sa collègue, Mitsuko Durand, fraîchement promue capitaine.
La victime gisait dans le salon
Corine et Gilbert Massalle guidèrent le commissaire Le Guennec et la capitaine Durand jusqu’au lieu du crime, leur propre appartement, acheté deux mois plus tôt, une vaste et unique pièce sous les combles. Elle ouvrait d’un côté sur le port et, de l’autre, sur un pan de falaise boisée. Il y avait des livres partout, empilés en colonnes qui montaient jusqu’aux poutres triangulaires.

Et au milieu de tout cela gisait un corps… le corps d’une femme. « Mais, c’est… » s’étouffa le commissaire, tandis qu’au même moment, Mitsuko s’exclamait : « C’est la dame au triangle ! ». Tout Dinan connaissait Marilou Raguenel, la cinquantaine, célibataire, sans enfant, immanquablement surnommée la dame au triangle, car elle portait toujours un grand triangle en pendentif. Mais Le Guennec, lui, la connaissait d’une façon si particulière qu’il susurra « Marilou… » dans un râle fort peu professionnel. Il blêmit, et lança, farouche : « Qui êtes-vous ? »
Le couple Massalle, qui faisait profession d’écrire des livres, confia avoir passé les treize dernières années en voyage autour du monde. Revenus en France deux mois plus tôt, ils juraient ne pas connaître la victime qui gisait dans leur salon. Le commissaire tournait comme un fou autour du corps, on aurait dit qu’il perdait pied. « Vous êtes en état d’arrestation ! », cria-t-il soudain. Gilbert Massalle recula d’un pas. Corine s’écria : « Vous… vous êtes ivre ! »
Les Massalle menottés
Un quart d’heure plus tard, le panier à salade emportait les Massalle menottés. Simultanément la police scientifique investissait l’appartement. Nulle trace de sang, mais chose étrange, la présence d’une poudre blanche sur la victime. Poison, stupéfiant ? De la farine ?! Oui, c’en était, et plus précisément de la farine de froment. Semblables traces furent relevées sur le châssis de la fenêtre qui donnait sur la falaise boisée. En outre, cette fenêtre était grande ouverte…
La nuit tombait, le port s’était calmé. Demeurée seule sur le quai, regardant distraitement les jouteurs remballer leurs longues perches, Mitsuko réfléchissait. En tant qu’écrivains, pourquoi les Massalle auraient-ils assassiné la dame au triangle ? Et pourquoi du froment avait-il été saupoudré sur le corps et la fenêtre ?
Anne et Laurent Champs-Masssart