Un feuilleton policier humoristique, écologique et local, conçu et produit par l’atelier d’écriture de la Bibliothèque municipale animé par Jean-Yves Ruaux avec le concours de Patricia Barthélémy, Valérie Boulanger-Raichman, Anne et Laurent Champs-Massart.
Épisode 3
Des fourniers lubriques !
Il faisait grand beau ce matin-là. Mitsuko retrouva son supérieur sur le port. Affalé sur une table en terrasse, portant la même chemise tachée de la veille, le commissaire Le Guennec semblait avoir peu dormi et chantonnait tristement : « Oh ma Lou, il fallait que j’abrège… »
Soudain il se redressa et déclara à sa jeune collègue : « Quand on est dans une impasse : faut bouger ! »
Des énigmes alambiquées
Il ramassa les livres posés entre les verres, se leva brusquement en renversant sa chaise et se dirigea d’un bon pas, bien qu’un peu titubant, vers la rue du Petit Fort.
« Pour les cas compliqués, on réfléchit toujours mieux en montée. C’est prouvé capitaine ! J’ai débrouillé mes énigmes les plus alambiquées dans le Jerzual. Suivez-moi ! » lança-t-il.

Mitsuko s’exécuta. Elle cheminait à ses côtés, il monologuait à voix haute.
« Ces deux-là, c’est des coriaces. Marilou, elle était futée. Pas de traces d’effraction. Qu’est-ce qu’elle faisait chez eux alors ? Comment l’ont-ils attirée ? »
L’intuition d’Erwan Le Guennec était légendaire et Mitsuko essayait de suivre les bribes de raisonnement de ce cerveau abstrus qui arrivaient jusqu’à elle. Mais plus ils remontaient la rue, plus celles-ci lui parvenaient tronquées par l’essoufflement du commissaire.
« Payé cash, l’ancienne loge… Un couple malfaisant… récidiviste peut-être ?… dû la rouler dans la farine ma Marilou. Était bonne comme du bon pain ! »
« Vous croyez que c’est ce couple qui l’aurait assassinée, chez eux ? Mais pourquoi donc ? » lui demanda Mitsuko.
« Des escamoteurs scribouillards en mal d’intrigues, des bourlingueurs pétrisseurs de mon âme sœur… Des gindres de malheur ! Changement de corbillon fait appétit de pain béni, disait l’abbé. Des fourniers lubriques ! éructa Erwan en levant les yeux au ciel. »
« Je ne comprends pas bien. Vous les pensez érotomanes homicides. Ils auraient manipulé Mme Raguenel pour la séduire ? Vous avez lu quelque chose dans leurs écrits ? », tenta l’apprentie détective.
« Pas très francs du collier les boulangers… Promettent plus de beurre que de pain », ajouta le commissaire en haletant arrivé à la hauteur de la Maison du Gouverneur. Il était écarlate.
Deux matelots en goguette
Mitsuko était maintenant devant lui et ralentissait son pas pour rester à sa hauteur. Il semblait presque en transe, comme possédé par sa réflexion obscure.
Il marmonnait et elle n’entendait plus rien que sa respiration qui se faisait de plus en plus sifflante.
Arrivés devant la vitrine d’un sculpteur renommé, elle le vit se tourner et maugréer : « L’était trop belle. M’a pas attendu quand j’étais sur la Jeanne d’Arc, elle avait emprunté un pain sur la fournée mais le bébé n’a pas tenu. » Il se renfrogna encore plus. Il avançait à peine, expirant à grand bruit, la tête baissée.
Au dernier tournant du Jerzual, il s’arrêta devant une maison à pan de bois aux huisseries vert d’eau. S’appuyant sur son genou gauche, il se tourna vers la fenêtre, effectua un signe militaire de la main droite en crachotant un « Salut ma jeunesse ! »
Mitsuko qui s’efforçait de rester derrière lui dans la fin de cette ascension pour qu’il ne force pas son rythme se demanda s’il s’adressait à elle. Parvenue à sa hauteur elle comprit que non en apercevant à travers la vitre, posée sur le rebord de la fenêtre devant les rideaux, une figurine en porcelaine représentant deux jeunes matelots en goguette.

Criminel ? Témoin ?
Le commissaire Le Guennec après trois grands pas rapides qui semblaient lui avoir demandé un effort surhumain, se retourna vers Mitsuko . Son regard semblait totalement illuminé comme par une révélation mystique. Il soupira un abscons « Les marins sont toujours dans le coup ! » et s’écroula de tout son long sur les pavés.
Il était encore inconscient quand les secours arrivèrent dix minutes plus tard.
« Cette fois, il va falloir qu’il se soigne vraiment » déclara l’urgentiste qui connaissait bien le commissaire.
Mitsuko comprit qu’elle devrait se débrouiller sans lui. Elle ramassa les livres tombés sur le sol. Que pouvait-elle bien garder des élucubrations du commissaire ? Tenait-il un rôle dans cette histoire ? Lequel ? Criminel ? Témoin ?
Valérie Boulanger-Raichman