Un feuilleton policier humoristique, écologique et local, conçu et produit par l’atelier d’écriture de la Bibliothèque municipale animé par Jean-Yves Ruaux avec le concours de Patricia Barthélémy, Valérie Boulanger-Raichman, Anne et Laurent Champs-Massart.
Épisode 4
Une société ultra-secrète
Vent de folie à midi sur Dinan. Assise à son bureau, la capitaine Durand en était déjà à sa sixième tasse de thé. Elle aperçut par la fenêtre un camelot sur le marché qui retenait avec difficulté le grand parasol sous lequel il avait installé sa marchandise. Elle serait bien sortie lui donner un coup de main mais elle avait du pain sur la planche, comme aurait dit le commissaire.
Elle avait étalé devant elle les photos prises sur la scène de crime dans l’appartement des Massale. Il y avait aussi ce livre écrit par le couple, annoté en bleu par Le Guennec et en rouge avec une écriture qui lui était inconnue.
Pomme de discorde
« Levez les pâtes contre les murs », racontait leurs voyages sur les traces d’un certain Kim Hong-Kang, un Coréen qui avait fait des études de macrobiotique à l’institut Michio Kushi à Boston. Celui-ci avait purgé une peine de prison, puis il aurait fondé une société ultra-secrète dont ils avaient traduit le nom par « Franche Boulangerie » ce qui apparaissait peu réussi à Mitsuko qui maîtrisait parfaitement le Hangeul et l’alphabet de Séoul.

Mitsuko lisait le livre en diagonale et s’arrêta sur cette phrase : « Les Francs Boulangers ont une vision organique vivante de l’univers contrairement aux Francs-maçons trop attachés à la matière. » Elle avait été barrée à l’encre rouge mais aussi annotée avec l’encre bleue du commissaire « pomme (de pain) de la discorde ! ».
« Tout au contraire, les Francs Boulangers puisent leur philosophie et leur symbolique dans une matière qui se partage et répand la vie : le pain. Les signes des Francs Boulangers sont : la pelle à pain pourvue d’un très long manche et le sac de farine.
Pour eux, Dieu n’est pas le grand architecte utilisant une équerre et un compas, mais un grand Boulanger, qui pétrit l’univers comme une pâte. »
Maoïsme, CIA, secte Moon
Si jamais c’était vrai son allergie au gluten pourrait être considérée comme une malédiction, pensa Mitsuko.
Elle continua la lecture et finit vers midi. On y trouvait pêle-mêle du maoïsme, de la CIA, la secte Moon, une histoire de moine dinannais sans visage et la réintroduction du sarrasin en Bretagne.

« Tout cela est bien indigeste, je vais laisser reposer un peu. » dit-elle au gardien à l’accueil.
Elle sortit chercher une galette saucisse dont l’odeur émanant du food truck à cinq mètres de sa fenêtre excitait ses narines depuis maintenant plus de deux heures.
Elle pensa aux bienfaits du sarrasin et comprenait la résistance des Bretons à laisser entrer cette confrérie étrange qui avait deux ordres en référence aux seules pâtes levées : l’ordre de la levure et l’ordre du levain. Quid du pain azyme alors ? Et puis elle se rappela de la note manuscrite en rouge sur ce chapitre « De quelle obédience sont-ils ces écrivains voyageurs ? » et de celle de Le Guennec qui la suivait « J’aurais été du levain, de l’éloge de la douceur et la lenteur ma belle, pour te servir… m… ». Un liquide avait dissous l’encre bleue et la suite était illisible.
Décidément, cette enquête aura fait couler beaucoup d’encre se dit-elle. Aura fait couler beaucoup d’ancres ? se demanda-t-elle en souvenir de la phrase étrange sur les marins prononcée par le commissaire avant son malaise.
Kim suspecté de meurtre
Elle rentra rapidement. La fin de la garde à vue du couple se terminait dans une heure : pas d’éléments suffisants pour les retenir plus longtemps selon le procureur. Elle ne disposait pourtant d’aucun autre suspect, n’est-ce-pas ?
Elle retourna au commissariat pour leur poser quelques questions sur leur achat précipité de l’ancienne loge. Faisaient-ils partie de cette confrérie qui selon eux se multipliait comme des petits pains ?
En faisant une recherche rapide dans le fichier d’Interpol sur l’individu Kim Hong-Kang, elle trouva qu’il avait été suspecté du meurtre non élucidé du Vénérable Maître de la loge de Sydney. « Séduisant l’Australien ! », s’égara Mitsuko.
Et si cette confrérie fonctionnait comme celle des Kkangpae, les yakuzas coréens ? Pour s’implanter, ils seraient capables de supprimer un à un leurs rivaux. Oui mais quelles preuves ?
Comment allait-elle se dépêtrer de cette affaire ? Comment séparer le bon grain de l’ivraie parmi tous ces indices ?
Valérie Boulanger-Raichmann