Un feuilleton policier humoristique, écologique et local, conçu et produit par l’atelier d’écriture de la Bibliothèque municipale animé par Jean-Yves Ruaux avec le concours de Patricia Barthélémy, Valérie Boulanger-Raichman, Anne et Laurent Champs-Massart.
Épisode 6
Une fontaine de champagne
C’était quoi, ce chuchotis ? De sa cachette sur la rive opposée, l’observateur qui n’était autre que Mitsuko Durand ne pouvait entendre ce que les deux écrivains-voyageurs se murmuraient.

Car ses jumelles infrarouge ne lisaient pas sur les lèvres. Mais, malgré son ventre creux, Mitsuko nourrissait une pensée analogue à celle des Massalle.
Le racket des yakuzas
Pourquoi Le Guennec avait-il souri devant le cadavre ? Et puis, ce NamdaeMun, ce restaurant coréen qui avait poussé en une nuit au cœur de la vieille ville, n’était-ce pas la preuve de l’expansion de la mafia coréenne ? De ses gangs de yakusas, les fameux Kkangbae, qui étendaient maintenant leur racket à tous les pays libres ?
Cette perspective la fit frémir d’inquiétude et de délice à la fois. L’instinct de la chasseresse s’éveillait en elle. Comme Japonaise, elle avait un vieux compte à régler avec les Coréens. Mais tout la déroutait dans ce dossier.
D’abord, il y avait ces deux voyageurs qui ne voyageaient plus, ce cadavre qui s’était invité dans leur bibliothèque… Tombé du ciel ! Un peu comme ça arrivait avec le bloc-toilettes-congelé d’un Boeing qui crevait une toiture et fondait, répandant son odeur de boule puante dans la maison[1]. Le Guennec ? Il lui avait donné l’impression de célébrer une victoire personnelle et de se ficher du reste !
Pas de morue pour les Terre-neuvas
Ni la police scientifique, ni la capitaine Durand, n’avaient relevé autre chose que des traces de farine. Ils avaient juste repéré de légers frottements sur la fenêtre arrière donnant sur la falaise. Brute et abrupte, la falaise. Elle s’élevait à la verticale vers les Combournaises assoupies et le turbulent Lycée de la Fontaine des Eaux. La Fontaine des Eaux ? Et pourquoi pas la fontaine à champagne, pensa-t-elle ? Ce serait nettement plus incitatif pour les nouveaux profs. Ils n’auraient pas l’impression d’avoir reçu leur mutation pour le régime sec d’une ville de cure !
Quoiqu’il en soit, un corps avait été déposé chez eux et les Massalle l’avaient trouvé au milieu de leur carrée, lessivée de la veille. Pas la peine d’y chercher de symbolique maçonnique, ésotérique, ou côtissoise, avait décrété Le Guennec, toujours pressé de conclure pour enfiler à gorge déployée les stations que le Quai lui offrait : Le Papillon, Le Poisson ivre, un havre de poésie liquide, Le Restaurant des terre-neuvas où, à son regret, ne stationnait plus aucune morue, le Ty Koz où il picolerait celte.

Une grosse meringue
Mitsuko s’était, avant les scientifiques, penchée sur le cadavre. Boursouflé comme une grosse meringue, il gisait sur le dos, les paumes ouvertes. Mais c’est le légiste qui avait ouvert Marilou pour qu’elle affiche le détail de son ultime menu. L’autopsie et l’analyse du bol alimentaire avaient révélé la présence de pâte crue dans l’estomac de la victime. N’avait-elle pas succombé à une asphyxie stomacale ? Une horreur pour Mitsuko qui était allergique au gluten… Il lui était impossible de penser que les écrivains-voyageurs l’aient attirée pour la trucider. Trop maniaques sur la propreté. Qui alors ? Des francs-boulangers furtifs en guerre contre la franc-maçonnerie ? Se payer une maçonne et la gonfler de pâte, ça ferait jaser dans les fournils. Encore mieux si elle éclatait.
Des agents étrangers en infiltration ?
– On aurait des trucs à vous dire, avaient proposé les deux écrivains-voyageurs, la main sur le cœur.
– Mais encore ?
– Nous souhaiterions vous faire part de détails qui vous ont peut-être échappé, à vous et à votre commissaire.
– Soupçonneriez-vous la police de mal faire son travail ?
– Nous, soupçonner la police ?
A leur mine d’enfants de chœur prêts à chanter les Béatitudes, Mitsuko eut un léger recul. Non, elle ne les soupçonnait pas d’avoir zigouillé la dame qui avait fait baver Le Guennec d’envie. Mais elle se demandait qui ils étaient finalement. Des agents étrangers en infiltration ? Des commandos déguisés en écrivains ? Il fallait de la ressource pour hanter la planète pendant treize ans avant d’acheter une ancienne loge maçonnique. Et le pognon de la baraque ? Il venait d’où ? De la poche d’un maharadjah, d’un dictateur fou amoureux ? Et cette idée de confidences ? Ça cachait quoi ?
[1] https://www.francesoir.fr/societe-faits-divers/ardennes-un-bloc-de-glace-tombe-du-ciel-et-transperce-le-toit-une-maison-sorbon-accident-avion-assurance-insolite (14/04/2017).
Jean-Yves Ruaux