Un feuilleton policier humoristique, écologique et local, conçu et produit par l’atelier d’écriture de la Bibliothèque municipale animé par Jean-Yves Ruaux avec le concours de Patricia Barthélémy, Valérie Boulanger-Raichman, Anne et Laurent Champs-Massart.
Épisode 8
Rottweiler et Doberman
Gilbert et Corine Massalle marchaient aux côtés de la capitaine, qui les guidait.
Elle prit la rue du Petit-Fort, mais au lieu de piquer droit sur le port, elle tourna, au niveau de la Maison du Gouverneur, dans le petit escalier de pierre par lequel se rejoignait le chemin des Combournaises.
Des empreintes !
Ils y étaient. Là commençaient les jardins des demeures privées, pourtant Mitsuko n’était pas décidée à respecter les « Défense d’entrer ». Elle sauta une grille, les Massalle à sa suite, puis tout trois s’engagèrent dans ce petit bout de forêt, tout en pente, et qui surplombait l’arrière des habitations du port. Après quelques ronces, ils se trouvèrent à hauteur du n°34, le lieu du crime. Il n’y avait plus qu’à s’approcher autant que possible de la fenêtre arrière de l’appartement des Massalle, cette lucarne où avaient été relevées des traces de frottements, ainsi que de la farine.
– Faites attention, marchez sur mes pas, dit la capitaine, ne créez pas d’autres traces. Et voilà. Regardez ici. Et encore ici. Et d’autres encore, par là-bas.
– Des empreintes !
– Je les ai remarquées hier, fit Mitsuko, pendant que vous étiez en garde à vue et que Le Guennec errait je ne sais où. C’est vraisemblablement par ici que les criminels sont passés pour introduire le cadavre de Marilou Raguenel chez vous.
A-t-il porté le cadavre ?
En effet, les Massalle n’avaient cessé de le préciser. Ils avaient laissé cette fenêtre ouverte le jour du crime. Et l’endroit piétiné se situait au même niveau que la lucarne, dont les scellés servaient tout de suite de perchoirs aux mésanges.
– Les moulages sont au labo. De la patience, je vous en souhaite. Mais l’agent de la Scientifique, qui m’accompagnait hier, a tout de suite décelé que ces traces-ci sont celles d’une femme. Petit pied, petit poids. Les secondes, quant à elles, sont celles d’un homme. Et même d’un sacré gaillard, à voir comment la terre a été enfoncée. A-t-il porté le cadavre ?
– Et les troisièmes ?
– Les troisièmes sont celles d’un chien.
Les Massalle n’y comprenaient rien.
– Moi non plus, avoua Mitsuko.
Pourtant elle poursuivait son idée. Ils rebroussèrent chemin. De retour dans le Petit Fort, cette fois, la capitaine guida les écrivains-voyageurs en direction du port. Plus haut vers la Porte du Jerzual, il y avait une foule costumée à cause de la fameuse Fête des remparts, avancée cette année au 18 juin.

Au lieu de franchir le pont pour aller interroger les grutiers, qui avaient vu la longue perche passer dans la forêt l’après-midi du crime, Mitsuko piqua droit sur la bouquinerie installée sur le quai, côté Dinan.
Une enclume à bâbord
Gérard, le bouquiniste, musait sur le pas de sa boutique en fumant une cigarette. Très calé en construction navale, il regardait les bateaux…
– Ça fait mal aux yeux quand même, se disait-il. Ce bestiau-là nous a mis un panneau solaire sur un cotre de 1915. Et les hublots en PVC, vraiment d’époque. Ouh ! Les marins analphabètes, s’amusait-il en remarquant une signalétique, en haut d’un mât, une bande bleue, prise dans du jaune. Alors comme ça, ils « manœuvrent avec difficulté » ?… A quai ? ! Ah, les enfants. Et ceux-là, de Jersey. Pas de symétrie. A croire qu’ils ont une enclume à bâbord. Et puis cette ménagerie, à bord, c’est l’Arche de Noé, ou du skipping sérieux ?
Et il déblatérait, amusé par ces entorses à l’orthodoxie marine.
C’est alors qu’il vit déboucher la capitaine de police accompagnée du couple Massalle. De bons clients, ceux-là. Moche, ce qui leur arrivait. C’étaient des amis.
– Vous avez.. ?
– Oui, capitaine, répondit Gérard du tac au tac. Bien sûr, que j’ai des livres sur les chiens. Sur les empreintes de chiens en particulier ? A voir, dit-il en se grattant la tête. Peut-être que j’ai ça.
Il fouilla, et ne put trouver qu’une sorte d’encyclopédie canine à usage vétérinaire.
Certes, les empreintes laissées derrière l’appartement par le chien (un chien errant ? celui des coupables ?) semblaient correspondre à un animal d’une certaine taille. Et d’accord, le Spitz nain n’a pas la même cheville que le bull mastiff. Mais allez faire la différence entre la patte d’un Rottweiler et celle d’un Doberman. Le fil était rompu. Allait-il falloir attendre les résultats du labo ? Les coupables n’avaient-ils pas laissé ces empreintes pour perdre les enquêteurs ? Et désormais, quelle piste suivre ?
Anne et Laurent Champs-Massart