Les participant.e.s à l’atelier d’écriture que Jean-Yves Ruaux anime à la Bibliothèque municipale de Dinan vous offrent des contes qu’ils ont conçus et écrits lors de la dernière séance de l’atelier pour 2021, le 11 décembre dernier. La prochaine séance se tiendra le samedi 15 janvier 2022. Le sujet sera Les journaux intimes. Inscriptions gratuites auprès de mp.larsonneur@dinan.fr
Ces quatre contes seront publiés les samedis en janvier. Bonne lecture !
2. Le joli Noël de la Belle
au Bois de Dinan
« 100 ans ! hurlait-elle, j’ai dormi 100 ans et vous voudriez que je sois raisonnable. Vous voudriez que je fasse les choses tranquillement sans bousculer les traditions. Mais que nenni ! Ma marque »Belle au bois dormant » doit devenir la première dans l’univers de l’hôtellerie du luxe, du repos mais aussi de la fête et de la »night ». J’ai assez attendu pour avoir le droit maintenant de festoyer tout mon saoul ! Le Bistrot du Viaduc, c’est pas juste pour les Côtissois ! »
Aurore, en effet, avait décidé de ne plus se cantonner au château d’Ussé. Ussé était le vrai château de la Belle au Bois Dormant, un château romantique en diable, avec ses tourelles en poivrière, ses toitures d’ardoise marine et ses murs tout blancs. Un peu comme le Hac, le château du Quiou, mais en nettement plus grand. Pourtant, il ne suffisait plus à la Belle qui avait longuement mûri son ambition en un siècle de sommeil sans rêves.
Allergique aux lions de la Bourbansais
Ussé n’était pour elle qu’un point de départ et elle envisageait de s’implanter dans la plupart des lieux de prestige français. Elle avait lorgné la Bourbansais, à Pleugueneuc, mais elle était allergique aux poils des lions.
Et aujourd’hui, en cet an 2 du COVID, elle voulait investir le Château de Dinan. Son côté forteresse la rassurait. Elle voulait absolument y développer le concept « Ripailles de fin d’année en toute sécurité ».
Son prince, l’émir du Khatar, lui avait offert carte blanche pour les dépenses et l’investissement. Budget illimité !
Elle regardait donc, interloquée, les émissaires de la Société des Amis du musée qui accueillaient son projet qualifié de « sacrilège » avec un regard courroucé et une moue de mépris.
Leurs arguments sur le respect de l’histoire des lieux ou la tranquillité due aux « mânes des grands ancêtres » la faisaient hurler de rire et la laissaient de granite.
Ils agitaient encore le « concept de bien commun inaliénable ».
Leur argumentation lui passait largement « au-dessus du voile du baldaquin », selon son expression favorite.
La salle d’honneur, un Musée des Beaux-Arts
Et pourtant jusqu’à présent, ils semblaient avoir gain de cause car la Ville de Dinan refusait de lui vendre le château et même de le lui louer. Le prétexte : elle n’avait jamais voulu quitter le palais de Chambord après y avoir organisé son fameux événement « le grand confinement gourmand ». Celui-ci était donc privatisé en permanence depuis presque deux ans !
A côté du Maire, dans la salle d’honneur de l’Hôtel de Ville, qui ressemblait à un Musée des Beaux-Arts, elle vit s’avancer une femme élégante. Le Maire la présenta comme militante « au charisme irrésistible ». Probablement sa dauphine, la personnalité politique qui montait dans la vieille cité bretonne. Brune, fine et très impressionnante.
Aurore reconnaît instantanément en elle sa tante la fée Maléfique, celle qui lui avait jeté le sort avec son fuseau avant d’être bannie.
Mais à l’étonnement d’Aurore, elle trouva en Maléfique, juriste émérite et avocate rouée, une alliée inespérée.
Maléfique évoqua une clause de contrat dite « Manu Militari ». Avec cette clause, le maire pouvait mettre le château en location sans la moindre inquiétude. Car la clause permettait de bouter hors des lieux les « locataires » récalcitrants avec le renfort de la maréchaussée.
Un accord fut donc conclu pour louer à la Belle le château du 16 décembre au 4 janvier et pas un jour de plus. La remise en l’état initial était garantie par une somme permettant de financer l’entièreté de la restauration des remparts. Là, les gens de la Société des Amis du musée recommencèrent à sourire.
Aurore, aidée par son avocate la fée, s’arrangea pour que la clause soit caduque. La Fée Maléfique, mais aussi maligne, habille habilement le projet avec des promesses alléchantes. Elle s’engage à réaliser une reconstitution intégrale du château de Léhon. Elle assure qu’elle veut en faire un lieu de visite touristique encore plus attrayant que l’actuel château de Dinan… avec la construction d’une annexe accueillant un hôtel de luxe pour chevaliers avec spa médiéval.

Un réveillon à Dinan
Le contrat conclu, la fête bat son plein. Les 100 premières fortunes mondiales viennent passer le réveillon à Dinan. Et déversent des tombereaux d’argent frais dans le commerce local. La « militante Maléfique » est invitée elle aussi. Il faut savoir qu’elle est une porteuse saine d’un nouveau variant, Omegacron.
Ne pas le dire, mais elle contamine l’ensemble des invités qui vont à leur tour contaminer leurs proches. Tous vont devoir s’isoler. Mais au bout du compte, aucun héritier des fortunes n’aura vaincu Omegacron. Voici donc leurs fortunes transformées en « Biens communs » selon la formule prévue par Maléfique. Aurore est juste cas contact, rien de plus. En tout cas, elle n’a plus du tout sommeil. Un an après cette fin d’année extravagante, elle est maintenant à la tête de « La Belle au bois dormant » (R), puissante chaîne de résidences de luxe. La disparition des héritiers fortunés, survenue à point, lui a permis de développer son idée dans de magnifiques « Biens communs » désormais sans occupants. Ce que l’on ne vous a pas dit, c’est que Maléfique rigole comme elle n’a jamais rigolé car elle n’a jamais vraiment aimé les riches. Car jamais personne ne lui a déposé le moindre cadeau au pied de son sapin.
Valérie Boulanger