Les participant.e.s à l’atelier d’écriture que Jean-Yves Ruaux anime à la bibliothèque municipale de Dinan vous offrent des contes qu’ils ont conçus et écrits lors de la dernière séance de l’atelier pour 2021, le 11 décembre dernier. La prochaine séance se tiendra le samedi 15 janvier 2022. Le sujet sera Les journaux intimes. Inscriptions gratuites auprès de mp.larsonneur@dinan.fr
Ces quatre contes sont publiés les samedis en janvier. Bonne lecture !
3. La sorcière de la Mère Pourcel
Alicia venait de Syrie. Elle habitait Dinan avec sa famille depuis quelques semaines. Il faisait très froid cette année-là autour de Noël.
Sur le chemin que l’enfant prenait tous les jours pour aller mendier, une grande maison sombre se dressait. Tordue, grise, obscure. Aucune lumière ne l’éclairait jamais. Alicia était à la fois fascinée et effrayée par cette grande maison. Elle, qui venait d’un pays lumineux, souffrait de la grisaille des mois noirs bretons. Souvent, dans le réduit du Poulichot qu’elle habitait maintenant avec sa famille, elle rêvait de ciel bleu, de soleil et de la chaleur du village qu’elle avait dû quitter précipitamment .
Le bruit des armes hantait encore ses oreilles.
Quand elle passait devant la grande bâtisse en bois et en torchis, elle se sentait aussi menacée que quand les roquettes sifflaient.

Muette ! Abracadabrette ! Saperlipopette !
Un jour, elle vit une vieille femme sortir de la grande maison. C’était une vieille courbée, bossue peut-être, enveloppée dans un manteau noir. Elle avait le nez couvert de verrues et était incroyablement laide. Elle fermait à clé la porte en jetant des regards à droite, à gauche comme pour vérifier que personne ne l’avait vue.
Alicia se figea le cœur battant.
La sorcière, car vous l’avez deviné c’en était une, prit l’enfant dans son regard, tournant son index gauche à hauteur de sa poitrine et dévoilant quelques chicots jaunes dans sa bouche puante, elle chuinta : « Tu es au mauvais endroit au mauvais moment ! Toi, la nuit de Noël, tu auras peur, tu auras froid, et tu mourras peut-être ! En attendant, tu seras muette, abracadabrette ! Saperlipopette. » Et elle s’évapora.
La fillette, terrorisé, essaya de dire « maman »… mais sa voix s’était évaporée avec la sorcière. Elle ne pouvait plus appeler au secours, ni mendier. Elle ne pouvait plus rentrer chez elle sans voix et sans piécette. Elle n’oserait même plus passer devant la maison de la sorcière.
La fée des Petits Diables
Elle commença à errer dans les rues de Dinan, serrant son imperméable trop grand.
Elle finit par s’arrêter dans le Parc des Petits Diables, pensant qu’aucune sorcière ne viendrait affronter les parents qui promenaient leur progéniture.
Assise sous un taillis, elle entendit une toute petite voix : « Alicia, Alicia, ne crois pas Pourcella ! Délivre-moi du pyracantha et de bonnes choses tu auras ! » L’enfant regarda sous les branches de l’épineux et vit une petite créature multicolore, aux ailes transparentes, coincée dans une énorme toile d’araignée. Délicatement, elle délivra le petit être radieux qu’elle prit au creux de sa paume.
« Je suis la reine des fée de Dinan, et puisque tu es si aimable et si serviable, je vais conjurer le sort de Pourcella la maîtresse sorcière ; cependant, ma force n’est pas assez grande pour lever totalement le sort. Tu ne pourras survivre à la nuit de Noël et récupérer ta voix que si tu utilises ceci intelligemment », elle fit alors apparaître une petite pochette d’une vingtaine d’allumettes comme on en voyait autrefois les fumeurs en utiliser.
Deux jours passèrent. Alicia avait erré, passant deux nuits, seule dans la ville illuminée. Elle s’inquiétait pour sa famille qui devait s’inquiéter pour elle. Peut-être était-elle recherchée par la police. Elle se sentait devenir faible, elle ne souffrait même plus de la faim.
Le soir du 25 décembre, une pluie glaciale rendit les pavés de Dinan terriblement glissants. Alicia les avait observés : les boutiques fermaient une à une, les passants se pressaient pour rentrer chez eux, bien au chaud, pour préparer Noël.
Elle avait compris qu’une cérémonie aurait lieu cette nuit-là et elle avait dû quitter son bien modeste refuge, une église peut-être, sans vraiment savoir que c’était un lieu de culte, pour ne pas se faire remarquer.
Ses pas la menèrent aux environs de minuit vers la maison de Pourcella. A bout, elle se laissa glisser contre la lourde porte, jusqu’au sol. Assise là sans même la force de pleurer, elle abrita ses mains dans les poches de son vêtement et sentit… les allumettes.
Elle en alluma une qui lui rappela le grand soleil et elle se sentit étrangement réconfortée. Mais elle brûla bien vite cette petite allumette. Alors elle en alluma une autre puis une autre… Quand les paroles de la fée retentirent dans sa tête « intelligemment »… Elle fit un petit tas des petits bouts d’allumettes, y mit le feu avec la dernière, glissa la pochette, puis son écharpe dans les flammes timides contre la porte en retrait du vent et de la pluie.
Quelques minutes plus tard, la vieille maison sombre était en flammes… Les pans de bois !
Les pompiers arrivèrent rapidement, mais dame ! Une nuit de réveillon ! La maison flamba complètement. Un sacré spectacle son et lumière pour le noël des voisins.
On ne retrouva rien de la Mère Pourcella.
« Maman »… le premier mot d’Alicia à son réveil dans une chambre de l’hôpital, sa mère près d’elle. Plus tard, le pompier qui l’avait trouvée, roulée en boule un peu plus loin lui raconta que le feu avait probablement atténué l’état d’hypothermie dans lequel elle était. En quelque sorte l’incendie dont on ignorait l’origine l’avait sauvée. Un mal pour un bien !
Patricia Barthélémy