Un feuilleton policier humoristique, écologique et local, conçu et produit par l’atelier d’écriture de la Bibliothèque municipale animé par Jean-Yves Ruaux avec le concours de Patricia Barthélémy, Valérie Boulanger-Raichman, Anne et Laurent Champs-Massart.
Épisode 10
La pelle du 18 juin
Après la découverte, à l’écluse du Châtelier, d’une barre de drakkar ou de galère, la capitaine Durand avait fait des rapprochements et elle comptait bien vérifier ses hypothèses avec ou sans l’aide de Le Guennec.
Tôt le matin du 19 juin, elle arriva chez le bouquiniste Gérard qui la reconnut immédiatement. Un sourire sincère éclaira son visage de vieux briscard. Lui montrant ses clichés, elle posa la question « pelle à pain géante ou barre de galère ? », Gérard sortit de ses rayonnages poussiéreux un des rares exemplaires de « Histoire et morphologie des rames de l’ancienne Égypte à nos jours » (Ed. de la Galère, Paris 1932).
La pelle à pain géante n’était pas une pelle à pain mais une rame, non de galère romaine ou de drakkar mais une rame typique des embarcations jersiaises de la première moitié du Premier siècle après J-C.
Une rame jersiaise
Mitsuko n’eut de cesse de convaincre Le Guennec :
– Commissaire, puisque je vous dis que j’ai trouvé la clé, que dis-je ! La rame de l’énigme.
– Mitsuko, vous m’embêtez à la fin, les Massale sont plus que suspects, coupables, et il n’y a plus d’énigme. L’affaire est entendue, dans le sac et…
La phrase n’était pas retombée que Mitsuko avait quitté le commissaire pour aller à la cave mesurer la pelle à pain géante. Et maintenant tout en marchant, elle appelait son ami Paul, docteur en physique des matériaux et passionné de navigation à rame. Après avoir reçu les clichés de la falaise, de la fenêtre de l’ancienne Loge maçonnique, de la rame et les mesures de l’objet, Paul confirma à Mitsuko que la rame jersiaise était assez robuste, son manche assez long pour transporter le corps léger de Marilou de la falaise à la loge maçonnique ; et comme Mitsuko l’avait vérifié, le diamètre du manche correspondait à la trace du rebord de la fenêtre. Elle savait par ailleurs que les deux écrivains voyageurs, amoureux fous de la nature, laissaient constamment ouvertes leurs fenêtres.
Je suis franc, et même franc-maçon !
Mitsuko ne faisait que suivre son intuition. Élevée à l’extrême-orientale, elle ne sentait aucune dichotomie entre son intuition et son intellect mais savait utiliser les deux simultanément. C’était sa grande force, étayée par un raisonnement rigoureux et une vaste culture littéraire. Elle était passionnée par la résolution d’énigmes impossibles, aussi était-elle en état de jubilation intellectuelle quand elle arriva au bateau de Suzy et Jonatan Ouless.

Ce couple de marins, dans son bateau au charme douillet « so british », avec le husky Doggydog et le chat Angora parés chacun d’une petite marinière, était inoubliable.
Jonatan Ouless ne montra aucune surprise quand Mitsuko annonça qu’on avait retrouvé les empreintes de son chien sur la falaise en face de l’ancienne loge.
– Oh, My God, autant tout vous dire car je suis franc, et même franc-maçon ! de la même obédience que Marilou qui était aussi une amie chère.
Accusés de sa mort
– Mais vous n’étiez pas aux obsèques.
– Les au revoir, c’est dans le cœur ! Voyez-vous, Marilou était atteinte d’une maladie orpheline et condamnée à d’horribles souffrances. Quand elle nous a demandé notre aide, nous n’avons pas hésité, n’est-ce pas Sue ?
– Vous l’avez… ?
– Non, aidée seulement. Voyez-vous Marilou était franc-maçonne, allergique au gluten et décidée à arrêter l’invasion de la franc-boulangerie coûte que coûte. Elle a ingurgité farine, pâte et levure… Sue et moi avons déposé son corps, comme un pain, dans l’ancienne loge pour que ces infâmes francs-boulangers soient accusés de sa mort. Nous avons jeté la rame jersiaise qui nous servait de lest à la Rance. Sans vous, ça aurait pu marcher.
Le soir même, Mitsuko racontait l’histoire aux Massalle, quand baissant subitement la voix elle ajouta « moi aussi, je suis allergique au gluten, franc-boulangère et je hais le riz blanc, alors je suis venue vivre en pays Gallo pour la galette saucisse… ».
Les écrivains voyageurs et Mitsuko résoudront-ils l’énigme de l’apparition du restaurant coréen à Dinan ?
Avec Mitsuko Durand, la franc-boulangerie supplantera t-elle la franc-maçonnerie en pays Gallo ?
Vous le saurez peut-être l’été prochain. Ou avant, qui sait ?
Patricia Barthélémy